- Pourquoi t’écris plus ?
- Parce que je cours, tout le temps, partout.
- Parce que je ne sais plus marcher.
- Ben pourquoi tu ne sais plus marcher ?
- Parce que j’ai l’impression que je vais tomber si je ralentis.
- C’est idiot ! Pourquoi as-tu envie de tomber ?
- Parce que ça fait longtemps que j’ai le tournis, c’est comme dans le bac à sable sur le tourniquet, tout va bien tant que ça tourne. Si tu arrêtes t’as mal au cœur. Des fois même tu vomis.
- Donc en fait t’as peur d’avoir mal au cœur ? T’es émétophobe ?
- …
- Pourquoi tu réponds pas ?
- Parce que j’aurais aussi mal au cœur si je te réponds.
- T’es compliquée dans ta tête toi… mais moi aussi je suis têtue, alors réponds pour une fois. Pourquoi as-tu peur d’avoir mal au cœur ?
- Tu m’emmerdes avec tes questions. Si tu veux tout savoir, j’ai eu tellement de fois mal au cœur, tellement eu peur, tellement eu froid que j’ai commencé à courir pour me réchauffer, pour m’étourdir, pour ruser contre le temps…
– …
– Me regarde pas comme ça avec ton sourire en coin ou je te fais avaler mon clavier… Oh arrête je te dis, tu me soûles là… Ok sans commentaire, j’ai aussi couru pour faire l’autruche parfois.
- Mais là, pas besoin de faire l’autruche, t’es bien là, t’as chaud non ?
- T’as raison Léon, pour une fois, je suis bien au chaud mais ça ne m’empêche pas de sentir tous les courants d’air, les variations climatiques, les écarts de pression. Je suis une vraie station météo et j’ai toujours peur d’un retour de l’ère glaciaire. Oui, pas la peine de relever avec ton air arrogant, j’ai bien dit j’ai peur. Si tu relèves, je me casse.
- C’est con ce que tu dis, on est en plein réchauffement climatique. C’est juste que t’as pas confiance.
- C’est pas faux ce que tu dis, mais en cas d’orage je fais quoi ? Si je ne cours pas après le temps, il va passer moins vite et je souffrirais plus longtemps.
- Ben oui, mais tu profiterais aussi plus longtemps des climats tropicaux.
- Je sais, je n’ai jamais dit que j’étais logique.
- Je sais, j’ai raison. Alors marche ma fille. Va.
- T’en as de bonnes toi. Réapprendre à marcher, ça fait mal tu crois ? Je ne sais plus comment faire, ça va être chaotique. Je vais avoir l’air godiche, on va se foutre de moi. Je vais tanguer comme un homme en talons aiguilles, je vais être lente comme une grand-mère. Je suis sûre que je vais flancher. Pis regarde les gamins, ils tombent tout le temps, ils se font des bleus, ils pleurent…
- C’est mes yeux ou tu paniques là ?
- … Bah non c’est pas tes yeux.
- Alors tu vas faire quoi ? Continuer à remplir hystériquement les vides ? Te priver de High heels pour éviter les entorses ? Ou ralentir suffisamment pour voir le paysage du haut de tes Louboutins ? Tu vas enfin profiter du moment présent, tout ça, tout ça ? Faut que je programme une rediff du Cercle des Poètes Disparus, capitaine mon capitaine, et que je te tatoue Carpe Diem (à l’encre noir, loin de moi l’idée de lancer une polémique) sur les fesses ?
- Toi, si tu me parles sur ce ton, je me casse parce que tu m’agaces, et je reste polie.
- Oui, mais j’ai raison.
- Oui, mais tu m’agaces.
- Oui, mais j’ai raison…
– Ta gueule.
- Toi-même…
C’est pas gagné.