Les mots démagogie et
démocratie ont tous les deux la même racine grecque « demos » qui
signifie «le peuple » en grec.
Leur cousinage n’est pas un hasard et déjà, en leur temps, les philosophes
grecs alertaient sur les interactions entre ces deux notions. Pour Socrate la
démocratie pouvait entrainer certaines dérives démagogiques et Aristote parlait
même de perversion de la démocratie à propos de la démagogie.
Récemment, et sans doute pour remettre au gout du jour la pensée de leurs
brillants penseurs, les Grecs nous ont offert une très belle illustration de
cette relation entre démocratie et démagogie.
En promettant aux Grecs la fin de leurs malheurs en échange de …. rien, ou
plutôt si, en échange d’augmentations de salaires, d’embauches et d’allégements
fiscaux, Tsipras a atteint un niveau de démagogie comme on n’en n’avait encore
rarement vu.
Tsipras a ni plus ni moins promis aux Grecs que, demain, l’Europe allait les
raser gratis. Fini l’austérité, plus question de se laisser maltraiter par ces
usuriers affameurs d’enfants et de leurs parents. Plus question de se laisser
dicter ce que l’on a à faire par une quelconque troïka ou d’égoïstes et
humiliants teutons.
Comment s’étonner du succès de ce discours, porté par un homme d’allure
sympathique et plein de bon sens, alors que les Grecs en bavent depuis 3 ans et
que leur triste situation est largement due aux partis traditionnels qui se
partagent le pouvoir depuis des décennies.
Le ressort du succès d’Alexis Tsipras est le même que celui de Marine Le Pen
(ils réunissent d’ailleurs tous les 2 à peu près 30% des électeurs derrière
eux). C’est le sentiment de n’avoir plus rien à perdre et que ça ne peut pas
être pire. Et même si la raison leur dit l’inverse, c’est également l’envie de
croire qu’il est possible d’améliorer son sort sans effort par le seul pouvoir
d’une volonté politique affirmée avec force, conviction et sans concession.
Volonté politique qui par un étrange phénomène se transformera en une capacité
de persuasion à laquelle l’Europe ne pourra résister.
La victoire électorale de Syriza a provoqué une allégresse quasi orgasmique
chez tous ceux que l’on situe traditionnellement à gauche de la Gauche. Ca y
est, les Grecs ont signé la fin de l’austérité, le peuple grec s’est soulevé
contre le diktat des sinistres fonctionnaires de la Troïka honni. Tsipras va
renverser la table en bronze du libéralisme qui écrase les Peuples européens.
Le Peuple grec nous a enfin donné raison et vous allez voir que dans un très
bel effet de contagion, l’Espagne, la France puis toute l’Europe vont suivre le
Peuple grec dans son refus de l’austérité ! Nous avons gagné, vive les
Grecs, vive nous !
L’enthousiasme a eu un tel effet dopant que Mélenchon qui avait pourtant
décidé de lever le pied, annonce dans la foulée sa volonté de rempiler pour la
présidentielle de 2017 !
Pauvres grecs, devenus les héros malgré eux de tout ce que l’Europe compte
de populistes anti-européens.
Il faut respecter la décision du peuple grec nous disent-ils. Et le Peuple
grec, figurez vous qu’il refuse l’austérité !
Rarement un argument aussi inepte a été repris par avec autant enthousiasme
par tant de monde hors de Grèce (même Hollande l’a repris). Et même si le monde
en question nous a habitués aux arguments ineptes, il y a quand même des
limites à l’ineptie qui là semblent bien gaillardement dépassées.
Et les peuples allemands, français ou Italien, leur a-t-on demandé s’ils
acceptaient d’entretenir les grecs à fonds perdus ?
Car n’oublions pas quand même que 70 % de la
dette grecque n’est pas entre les mains de vils spéculateurs ou des grandes
méchantes banques, mais entre celles des pays européens qui ont généreusement
fait le choix d’aider les Grecs à un moment ou ceux-ci ne trouvaient plus de
préteurs à des taux décents.
N’oublions pas non plus que depuis que les européens ont repris cette dette,
la Grèce bénéficie de conditions plutôt avantageuses. Outre qu’une partie de la
dette a été effacée en 2012 (Abandon par les créanciers privés de 50% de leurs
créances), elle a été restructurée pour reporter son remboursement aux calendes
grecques (2045), ses taux ont été allégés et leur règlement bénéficie d’un
moratoire de 10 ans qui signifie que les intérêts ne seront réglés qu’à partir
de 2023.
Avec ce traitement de faveur, on est bien loin des conditions auxquelles
sont soumis l’Espagne, l’Italie ou le Portugal !
C’est donc tout enivré par sa victoire électorale inespérée et dopé par les
félicitations dithyrambiques de sa cohorte étrangère d’admirateurs, que Tsipras
à envoyé son ministre de l’Economie de combat, Yanis Varoufakis, faire entendre
raison à ses partenaires européens mais néanmoins créanciers.
Hélas pour eux et pour leurs adulateurs, mais comme on pouvait néanmoins
s’en douter, les promesses de Syriza se heurtent à quelques difficultés de
réalisation.
Assez étonnamment, les créanciers de la Grèce se montrent peu enclins à
faire une croix sur plusieurs dizaines de milliards d’euros. Ils se montrent
d’autant moins enclins que les Grecs se refusent de promettre quoi que ce soit
en échange et semblent réclamer ces subsides comme un dû.
En clair, on peut dire que les européens ne souhaitent pas continuer à
financer la Grèce sans conditions, à plus forte raison pour contribuer au
financement d’un programme d’augmentation des salaires, d’embauche dans la
fonction publique et de baisse des impôts.
Pourtant, et même s’il est normal de s’interroger sur l’efficacité de ces
contreparties, il n’y a rien de scandaleux à vouloir, sinon obtenir la
garantie, au moins moins limiter le risque que l’argent versé ne tombe dans un
gouffre sans fond de type tonneau des Danaïdes. A la fin, personne ne doute
qu’un accord sera trouvé, mais quel qu’il soit, il ne pourra que décevoir tous
ceux qui auront cru aux rodomontades de Tsipras.
Tsipras ne pourra pas assumer toutes ses folles promesses mais gageons qu’il
n’en mangera pas pour autant son chapeau mais qu’il le fera porter à
l’incompréhensible manque de lucidité d’une Europe à la botte d’une Allemagne
psychorigide, bouc émissaire facile des malheurs grecs depuis 5 ans.
Pour les Grecs, la désillusion sera à la hauteur de leur enthousiasme
postélectoral au risque qu’ils tombent alors dans la surenchère en se réfugiant
dans un nationalisme exacerbé pleins de boucs émissaires, dont le meilleur
porte-parole en est le parti fascisant Aube Dorée. La démagogie se fracasse
toujours sur la réalité et à chaque fois, c’est la démocratie qui en prend un
coup !
Il avait raison Aristote, la démagogie est bien la perversion de la démocratie.