« Le Premier Ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la
responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée Nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté,
sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier Ministre peut, en outre, recourir à cette
procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. » (Article 49 alinéa 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 de la Ve République révisé le 23 juillet
2008).
Le fameux esprit
du 11 janvier vient de s’évaporer de lui-même à cause de la guerre de position que se livrent les apparatchiks du Parti socialiste dans la perspective du congrès qui aura lieu du 5 au 7 juin
2015 à Poitiers.
Ce mardi 17 février 2015 en début d’après-midi, le conseil des ministres s’est réuni exceptionnellement pour
autoriser le Premier Ministre Manuel Valls à appliquer l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, à savoir à engager la responsabilité de son gouvernement sur le projet de loi appelée "loi Macron" (à ne pas confondre avec la procédure du
"vote bloqué" régie par l’article 44 alinéa 3 de la Constitution).
C’est un événement important car cela faisait presque dix ans que cette procédure n’a pas été utilisée. Elle
résulte du décompte d’un nombre de députés socialistes "frondeurs" prêts à rejeter le projet de loi Macron et de la volonté de ne pas prendre le risque politique (majeur) d’un désaveu par une
majorité parlementaire de circonstance. Elle montre avant tout l’impasse politique dans laquelle se trouve Manuel Valls.
Rien d’antidémocratique
L’article 49 alinéa 3 n’a rien d’antidémocratique puisqu’il est inscrit dans la Constitution qui fut approuvée par référendum (j’encourage les lecteurs à lire la présentation faite par Éolas de cette disposition, datant du 6 septembre 2006, donc, dans des circonstances
différentes). Et pour cette circonstance précise, le débat parlementaire n’a pas du tout été court-circuité puisque la décision est arrivée à la fin de la discussion, juste avant le vote solennel
qui aurait dû se dérouler le 17 février 2015.
Je rappelle très succinctement que la procédure veut que les débats parlementaires soient interrompus pendant
vingt-quatre heures, que pendant ce délai, une motion de censure puisse être déposée par au moins 58 députés (10%), et que le vote de cette motion de censure ne puisse pas intervenir avant
quarante-huit heures, afin de dépassionner les débats. Si la motion de censure est rejetée, le texte (ici la loi Macron) est considéré comme adopté. Si au contraire, la motion de censure est
adoptée, alors non seulement le texte est rejeté mais le gouvernement est renversé et le Président de la République n’a alors d’autre choix que soit changer de gouvernement, soit dissoudre
l’Assemblée Nationale.
Ce petit rappel montre que la motion de censure, déposée par l’UMP et l’UDI dans la soirée du 17 février 2015 et qui sera débattue le jeudi 19 février 2015 (le vote interviendra à 18
heures), a très peu de chance de rassembler une majorité absolue des députés (il faut au moins 289 voix, même s’il y a des absents), car d’une part, politiquement, il est très difficile à des
députés de gauche de mêler leur voix à celle de leurs collègues de l’opposition (il semblerait que les députés du Front de gauche la voteraient
quand même), et d’autre part, électoralement, ce serait suicidaire de retourner si tôt devant les électeurs. Le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a d’ailleurs été très clair : un
députés PS qui voterait la censure n’aurait « plus sa place au PS ».
Sarkozy, beaucoup plus respectueux des parlementaires que Hollande
Historiquement, jusqu’au 17 février 2015, la procédure de l’article 49 alinéa 3 a été utilisée 82 fois depuis
le 4 octobre 1958, la gauche l’a utilisée plus souvent que la droite, une cinquantaine de fois contre une trentaine, avec un exercice du pouvoir nettement plus bref, 200 mois pour la gauche et
467 mois pour la droite, donc la gauche l’a utilisée près de 40 fois plus souvent que le centre droit, notamment pendant la période 1988-1993 sans majorité absolue pour les gouvernements de
Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy.
D’ailleurs, il est assez intéressant de voir que la dernière fois qu’un gouvernement a utilisé cette
procédure, c’était Dominique de Villepin le 9 février 2006 pour le CPE, et en septembre 2006, il a failli récidiver sur le projet de loi de fusion
de GDF et Suez en raison des 137 449 amendements déposés par une opposition assez peu responsable à faire une telle obstruction parlementaire.
Ce qui rappelle que sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy,
l’article 49 alinéa 3 n’a jamais été utilisé, malgré les nombreux procès d’intention faits contre l’autoritarisme de ce dernier. Au contraire, dans la révision de la Constitution du 23 juillet
2008 (loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008), Nicolas Sarkozy avait souhaité limiter cette
utilisation aux seules lois de finances et à un seul autre texte par session alors qu’il n’y avait aucune limitation avant lui (Michel Rocard l’avait utilisé 28 fois en 37 mois de
pouvoir !). Initialement, Nicolas Sarkozy était même favorable à la suppression pure et simple de cette procédure, mais c’est aussi l’un des moyens efficaces de gouverner face à une
assemblée mouvante.
La loi Macron, la montagne qui accouche d’une souris
L’utilisation du 49 alinéa 3 est donc depuis 2008 un acte majeur dans la vie politique en raison de sa
limitation. Manuel Valls l’a rappelé au journal de 20 heures sur TF1 le 17 février 2015 : il l’a appliqué car il a considéré la loi Macron comme un acte majeur de son gouvernement. Son
prédécesseur Jean-Pierre Raffarin a réagi pourtant ainsi : « On a le sentiment qu’avec ce 49.3, le gouvernement va chercher un bulldozer pour faire des pâtés de sable ! ».
Et c’est vrai que c’est à peu près sur ce seul texte que le gouvernement se base pour redynamiser l’économie,
ce qui est assez court en terme d’ambition nationale, car ce texte n’est qu’un recueil de petites réformettes qui auront très peu d’influence sur l’économie nationale et l’emploi, qui a l’avantage de ne pas coûter grand chose à l’État (c’est déjà ça) et qui déverrouille à peine les carcans qui sclérosent l’initiative économique. L’exemple
le plus flagrant est le travail le dimanche alors que l’avancée réglementaire est particulièrement minime. C’est d’ailleurs à cause de ce sujet
que les députés "frondeurs" ont refusé de voter cette loi.
Une remarque aussi sur l’appellation du texte, la "loi Macron", qui, effectivement, a été présentée et
défendue par le Ministre de l’Économie Emmanuel Macron, mais il faut quand même rappeler que ce texte a été préparé par son prédécesseur, qui
n’était autre que l’un des chefs de fils de cette prétendue aile gauche, Arnaud Montebourg, alors qu’un
autre "leader" "frondeur" était le numéro deux du gouvernement, Benoît Hamon. Cela en dit long sur la
sincérité de ceux qui, élus grâce à la victoire de François Hollande, crachent dans la soupe aujourd’hui (pour sauver leur circonscription dans deux ans).
Où en est Manuel Valls ?
Depuis qu’il est à Matignon, Manuel Valls a montré son autorité sur son gouvernement, quitte même à
démissionner pour limoger les indisciplinés. Cette autorité ne s’étend toutefois pas jusqu’à sa majorité parlementaire.
L’utilisation du 49 alinéa 3 est le constat un échec, celui de Manuel Valls à vouloir "réformer" un Parti
socialiste qui n’est pas réformable, trop habitué à ses archaïsmes. Avant lui, Michel Rocard avait échoué dans ce même registre, et Jacques Delors
n’avait même pas voulu essayer (notamment en 1995).
Ce qui est étonnant, c’est que la loi Macron aurait pu rassembler un large éventail de la représentation nationale, car même si beaucoup de députés de l’opposition considéraient que le texte n’allait pas assez loin, il avait
au moins le mérite de faire avancer quand même un peu le Schmilblick et de faire mieux que le statu quo. Certains députés UDI et même UMP étaient prêts d’ailleurs à voter ce texte. La
repolarisation du débat en réinstallant un clivage partisan par l’article 49 alinéa 3 empêchera de connaître la capacité de rassemblement de Manuel Valls en dehors de sa propre majorité. Pire,
ces mêmes députés de l’opposition voteront probablement la motion de censure qui en est la conséquence.
Pourtant, trouver des mesures pragmatiques pour redynamiser l’économie, c’est une mission d’intérêt général
qui aurait pu rassembler autant la majorité que l’opposition. Mais comme le refus d’intégrer François Bayrou dans sa majorité, François Hollande
n’a aucune vision autrement qu’au sein du Parti socialiste, comme si ce parti représentait tout à ses yeux.
Aujourd’hui, le PS est paradoxalement le principal adversaire de ce gouvernement de bonne volonté économique
qui n’ose pas aller jusqu’au bout de sa logique politique, à savoir faire une loi économique consensuelle et pérenne, comme l’Allemagne le fit en 2004 : que les députés de l’opposition
soient consultés et surtout, écoutés, et pas seulement mis sur le fait accompli (avec ce choix : c’est ça ou rien), que cette loi fasse l’objet d’une véritable négociation nationale et
qu’elle ne soit pas remise en cause lorsque la majorité changera. Bref, que les députés s’attaquent enfin aux vrais problèmes sans esprit de chapelle.
L’ancien Premier Ministre François Fillon l’avait proposé
depuis plusieurs mois, prêt à prendre au mot la bonne volonté de Manuel Valls : « Désormais François Hollande est un Président de la République paralysé, sans majorité pour réformer, condamné
à subir la dégradation de la situation économique et sociale. Depuis des mois, je tire le signal d’alarme en implorant le Président de la République d’écouter les propositions de l’opposition
pour définir un agenda national afin d’engager sans délai les réformes économiques nécessaires. (...) Le gouvernement n’a pas saisi cette opportunité et a préféré s’obstiner dans une voie sans
réelle ambition pour l’économie française par crainte de fracturer sa majorité. À l’arrivée, il n’évite pas la fracture et fait la démonstration de son impuissance. » (François Fillon le 17
février 2015). Mais malgré ces signes de "détente" politique, il n’y a jamais eu qu’une fin de non recevoir de la part des gouvernants qui ne sont que d’anciens apparatchiks socialistes.
L’intelligence de Manuel Valls aurait dû aller dans cette voie au lieu de se piéger lui-même en n’ouvrant
rien sur sa droite et en refermant tout sur sa gauche : celle de chercher un véritable dialogue majorité/opposition pour montrer aux citoyens que les députés se préoccupent avant tout, avant
leur carrière, avant leur intérêt partisan, de l’intérêt national, de l’intérêt des Français.
Pendant que les chiens aboient…
Avec ce nouvel épisode désolant de la vie politique, il n’est donc pas étonnant que des électeurs, désabusés,
lassés, agacés par tant d’aveuglement, choisissent finalement un parti qui se dit hors système même s’il profite du système depuis plus de trente
ans, grassement et sans beaucoup d’efficacité, quelle est l’œuvre en faveur des Français que la famille Le Pen a construite depuis trente
ans ? quelle mesure, quelle proposition ?
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (18 février
2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Hollande.
Manuel Valls.
Emmanuel Macron.
Travail le dimanche.
Mathématiques militantes.
2017, tout est possible…
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/loi-macron-l-auto-enfermement-163814