« Après la guerre »
LE CORRE Hervé
(Rivages)
Un passionnant et conséquent polar. Un polar qui explore les tares de la société, qui ne s’embarrasse pas de circonvolutions. Le Corre fait revivre les années de l’après guerre, en ces temps où les anciens collabos sortaient de l’ombre et relevaient la tête.
La bonne ville de Bordeaux sert de cadre à son récit. « … une ville comme Bordeaux qu’on tient pour calme et ordonnée, capitale de la modération politique, avec par le passé une Gestapo efficace et une police politique redoutable et redoutée, une résistance hachée menue, des Juifs dûment raflés, une belle proportion de salauds, de traîtres et d’immondes canailles passés pour la plupart à travers les mailles au temps de l’épuration, et maintenant dirigée par ce maire jeune et beau, au physique de représentant en aspirateurs, chargé par De Gaulle de retaper la virginité de cette grande traînée et de sa marmaille morveuse de bourgeois, de négociants en vin, de flics, de journalistes locaux toujours contents au bout de leur nouvelle laisse. »
Donc ce Bordeaux-là. Où en moins de dix mois, un tueur a exécuté neuf personnes. Les plus hautes autorités s’affolent. Les comptes ne sont pas soldés. Et ils sont d’autant plus difficiles à solder que de l’autre côté de la Méditerranée, une autre guerre, coloniale celle-là, exerce ses ravages. La Guerre d’Algérie. Guerre à laquelle est convié Daniel, guerre dont il découvre l’abomination, guerre à laquelle il se résout jusqu’à en assumer les pires conséquences, jusqu’au jour où la nausée prendra le dessus et qu’il décidera alors de déserter. Les mots de son ami Giovanni lui revenant peut-être en mémoire : « Et puis déserter, c’est toujours assimilé à de la lâcheté, c’est soi-disant mal vu. Mais moi, je m’en fous. Je me sens lâche, de toute façon, ici. J’ai peur des fells, des autres troufions, et même de moi. »
Donc les meurtres. Un tueur qui solde des comptes. Lesquels ? Il n’est pas dans les intentions du Lecteur de les révéler ici. Quelques repères toutefois. L’autre Guerre, la Seconde, est omniprésente. Daniel est l’enfant d’une jeune juive, Suzanne et de Jean, un à peine homme qui vivait alors de menus trafics. Arrêtés puis déportés, ils avaient auparavant réussi à cacher le petit Daniel et confié à un couple de militants communistes le soin de le récupérer, Maurice et Roselyne qui deviendront ses parents adoptifs. Tout s’entremêle. Les deux moments de l’Histoire. Ce qui confère au polar une dimension tragique assez exceptionnelle. Les salauds restent les salauds, tout particulièrement chez les flics qui furent tout autant des bourreaux que des pourvoyeurs des camps de la mort.
Hervé Le Corre met ou remet en mémoire cette autre France, celle de Pétain, celle de la collaboration, une France hideuse mais qu’il est de bon temps aujourd’hui d’ignorer ou de feindre de ne pas reconnaître. Avec, en toile de fond, les guerres, leurs cortèges de cadavres, les tortionnaires qui de l’autre côté de la Méditerranée perpétuèrent les traditions gestapistes. Soit donc ce qui représente infiniment plus que la part d’ombre de l’histoire d’un pays qui n’a toujours pas accompli son introspection.