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En soit, pour un journaliste, l'affaire est passionnante. Un consortium international de journalistes d'investigations - j'adore cette expression... comme si tous les journalistes ne l'étaient pas. Allez disons plutôt que ceux-là le sont plus que d'autres - a mis ses efforts en commun pour révéler un scandale financier. Un de plus! Les journalistes dans cette histoire sont complètement dans leur rôle: révéler l'évasion fiscale de plus de 180 milliards d'euros organisée par la filiale bancaire suisse HSBC. Certains vous diront qu'ils ont été manipulés par l’État français qui serait à l'origine de la fuite des informations. De là à penser que les médias sont manœuvrés, il y a un pas qu'il ne faut peut-être pas franchir, car il n'est pas nécessaire non plus prendre tous les journalistes pour des imbéciles. Disons qu'en l'occurrence, leurs intérêts convergeaient. Leurs intérêts, c'est-à-dire ceux de la République, une des sources de financement des médias et ceux des journalistes.
Mais revenons à notre sujet, la révélation du scandale. Les différents apparaissent lorsque des noms sont révélés, tout le monde n'est plus d'accord et en particulier ceux-là même qui détiennent les cordons de la bourse du Monde qui jouent non seulement aux magnats de la presse mais qui sont avant tout des banquiers, comme M. Pigasse, numéro deux de la banque Lazard. Oh cruel dilemme...! Les journalistes qui travaillent pour son journal font leur travail et plutôt bien en l'occurrence car les ventes du Monde ont évidemment augmenté le jour de la révélation du scandale. Le propriétaire du journal est content. Oui, mais les journalistes ne font pas que révéler un scandale, ils citent aussi des noms et alors la le banquier n'est plus content du tout car on touche à un point sur lequel ces derniers tiennent particulièrement, le sacrosaint secret bancaire. Franchement, je n'aimerai pas être à la place de M. Pigasse qui va finir par devenir schizophrène.
Elle ne concerne évidemment pas les seuls banquiers. La réaction de M. Bergé a été tout aussi intéressante. Plus virulents, les commentaires de l'autre propriétaire du Monde dénoncent le choix des journalistes d'avoir cités des noms de célébrités qui avaient régularisé leur situation fiscale avant la publication de l'article. Doit-on penser que le fait de citer le nom de Gad Elmaleh soit injuste, surtout aux vues du montant non déclaré de 80.000 euros ? Il est intéressant que celui qui a fait la démarche de tricher passe aujourd'hui pour une victime. Mais c'est une autre question. Certains vous diront qu'en effet 80.000 euros ce n'est pas beaucoup par rapport aux autres montants détournés. D'autres vous diront que "qui vole un œuf, vole un bœuf" et que c'est l'intention qui compte. Mais ce n'est pas la morale ici qui doit intervenir, ou du moins pas celle-ci. Doit-on pour autant penser que les journalistes à l'origine de la révélation de l'affaire ont utilisé l'identité d'une personne connue pour assurer la médiatisation de leur dossier. Peut-être? Est-ce grave? Pas tant que cela semble-t-il puisque leurs confrères et consœurs n'ont pas manqué de rappeler que Elmaleh avait régularisé sa situation fiscale et qu'aujourd'hui la réputation de l'humoriste n'apparaît pas particulièrement ternie.
Ce qui semble surtout choquant c'est qu'un des principaux actionnaires du Monde paraît surpris que les journalistes fassent leur travail, ce journal auquel je cite, il est venu au secours. Pierre Bergé en chevalier blanc, on aura tout vu. Décidément, l'indécence se niche partout.
A Canal+ aussi, les patrons risquent d'être victimes de la schizophrénie ambiante. Bolloré moqué par les Guignols s'aperçoit mais un peu tard que la dérision peut faire mal surtout lorsque l'on en est la victime. De là à reprocher à ses journalistes de se moquer des autres et de les encourager à se limiter à l'auto-dérision, il n'y a qu'un pas qu'il n'a pas hésité à franchir.
Il faudrait savoir ce que veulent exactement ces nouveaux magnats de la presse? Leur intérêt n'est-il pas de rester discret et de ne pas intervenir dans les choix éditoriaux de leurs médias? Cela remet surtout en cause un problème qui depuis que la presse existe n'a pas encore trouvé de solution: comment la financer sans que l'éthique soit en danger? Ou alors est-ce l'intérêt justement de nos démocraties d'avoir ce débat toujours ouvert afin de rester continuellement vigilants?