d'après MARROCA de Maupassant
Une belle fille nue se baignait
Sur la plage de Beni-Saf. Quand elle me vit,
Elle poussa un cri
Et partit se cacher derrière un rocher.
Comme il fallait bien qu’elle en sortit,
Je m’assis et attendis.
-« Partez, allez-vous-en ! »
Je ne bougeais pas.
-« Ce n’est pas correct de rester là. »
Par instants,
Elle me regardait.
Elle avait de grands yeux foncés
Et des lèvres suavement retroussées.
Je me levai et m’en allai.
Le lendemain à la même heure,
Je revins, et pour mon bonheur,
Elle se baignait encore, toute dévêtue.
Huit jours après, on ne se séparait plus.
Elle s’appelait Marroca
Et avait épousé un français,
Un employé d’État.
Je ne sais quelles fonctions il remplissait.
Elle venait faire ses siestes chez moi.
Quelles siestes, ma foi !
Jamais dans ses flancs
Femme ne porta autant
D’inapaisables désirs.
Que d’ardeur, d’étreintes, de soupirs !…
Un jour, au réveil, elle me dit :
-« Viens dormir chez moi. »
-« Comment chez toi ? »
-« Oui, mon mari embarque ce soir pour Paris.
Viens dormir à sa place. »
-« Pourquoi ça, petite bécasse ? »
-« Ça me fera un souvenir
Lorsque tu seras parti !
Quand mon mari viendra se blottir
Contre moi,
Je penserai à toi. »
-« Mais …je n’ai aucun goût
Pour les rendez-vous
Sous un toit conjugal.
Ce sont des souricières
Où est toujours pris le rival. »
Mon attitude lui parut singulière.
Elle me pria, me supplia, pleura :
-« Tu verras comme on s’aimera ! »
Je compris :
Elle voulait se venger de son mari,
Le tromper chez lui, dans ses draps.
-« Ton mari n’est pas gentil ? »
-« Oh ! Si…si… »
-« Mais tu ne l’aimes pas ? »
-« Si, mais pas autant que toi.
Tu viendras chez moi,
Dis ? »
-« Non. » Très fâchée, elle partit.
Trois jours plus tard, Marroca reparut
Et m’appela de la rue :
-« Viens ce soir chez moi ! »
Deux-heures après,
Dans sa chambre je pénétrais.
Elle semblait folle de joie :
-« Te voilà chez nous ; te voilà chez toi ! »
Si, à l’évidence,
Au début je fus gêné,
Je repris vite mon assurance
Et la lui prouvais…
Quand, de l’entrée, Un homme s’exclama :
-« C’est moi, Marroca ! »
-« Mon mari !
Vite, cache-toi sous le lit ! »
Je saisis mes effets
Et me glissai comme un vaurien
Sous le lit sur lequel j’étais si bien.
J’entendis le bruit métallique d’un objet
Que Marroca posait sur le rocking-chair.
-« J’ai oublié mon porte-monnaie ! »
Un baiser à sa femme, et le fonctionnaire
Repartait.
J’étais sauvé.
Je sortis de ma retraite un peu énervé
Tandis que Marroca riait et dansait.
Je voulus m’assoir et la regarder
Mais je me relevai d’un bond :
Une chose froide gisait sous mon fond.
Comme je n’étais pas
Plus vêtu que Marroca,
Ce contact froid me saisit.
Je m’étais assis
…Sur une hache !
-« Et si ton mari m’avait vu ? »
Elle répondit d’un air bravache :
-« Pas de danger, penses-tu ! »
-« Comment ! Il lui suffisait,
Pour me trouver, de se baisser. »
-« Il ne se serait pas baissé. »
-« S’il avait fait tomber son chapeau,
Il l’aurait bien ramassé… »
-« Il ne se serait pas relevé de sitôt. »
Elle pointa la hache de son doigt
Et mima devant moi
Le geste qui l’aurait décapité.
Voilà comment,
À Beni-Saf, on comprend
L’hospitalité !