Opéra de Munich: reprise de Falstaff dans la mise en scène d´Eike Gramms

Publié le 18 février 2015 par Luc-Henri Roger @munichandco

Ambrogio Maestri en Falstaff


On a toujours autant de plaisir de revoir la mise en scène minimaliste et efficace du Falstaff de Verdi qu´Eike Gramms avait présentée au Bayerische Staastoper en janvier 2001, l´année même où Ambrogio Maestri, qui chante Falstaff cette saison sur la scène munichoise,  avait fait ses débuts couronnés de succès dans le rôle-titre à la Scala de Milan dans la mise en scène de Giorgio Strehler et sous la direction musicale de Riccardo Muti. Depuis lors le baryton pavesan, un des meilleurs Falstafff du tournant du siècle,  s´est produit dans le rôle dans 25 théâtres differents de Vienne à Londres, de Salzbourg à Paris, Amsterdam ou Bussetto. C´est dire qu´il en connaît toutes les nuances et qu´en quatorze années de pratique du personnage,  il en a acquis une connaissance intime qu´il distille avec un jeu de scène raffiné, pour la plus grande joie des spectateurs. Et comme la mise en scène d´Eike Gramms est essentiellement axée sur une mise en place et une mise en valeur des personnages qui sert parfaitement tant le texte que l´esprit shakespearien, on peut pleinement jouir tant des talents de chanteur que des subtilités du jeu d´Ambrogio Maestri.
Eike Gramms et son décorateur-costumier Gottfried Pilz utilisent à bon escient un décor a minima: le plancher circulaire d´un grand plateau tournant surélevé et incliné, un rideau de scène semi-transparent, et un rideau de fond de scène qui forme une paroi circulaire qui rappelle peut-être la circularité du Théâtre du Globe et donne également l´impression que la vie n´est qu´un drôle de cirque. Un cirque shakespearien, avec son goût pour le déguisement et  dirigé par de maîtresses femmes qui se refusent à servir de jouets aux hommes. Eike Gramms, qui a commencé sa carrière comme acteur notamment shakespearien, connaît bien son propos et est comme un poisson dans la Tamise pour transmettre le génie du Maître de Stratford! Qui mieux qu´un ancien acteur sait comment placer et faire se mouvoir les comédiens sur scène pour leur permettre de mettre au mieux leurs personnages en valeur? Peu de décors, tout pour le jeu théâtral! 
Eike Gramms fait l´économie de  références historiques qui n´apporteraient rien à la comédie. Que l´action se passe sous Henri IV ou sous Margareth Tatcher, à Windsor ou en Ecosse importe peu. La touche british est  donnée  par la rousseur de la chevelure de Falstaff et surtout par les costumes pour lesquels Gottfried Pilz a abondamment utilisé le motif écossais, avec un parti pris de mauvais goût qui sert bien le burlesque de la farce: le kitsch règne en maître et les personnages sont attifés avec un art consommé de la faute esthétique Ainsi des tenues aux couleurs criardes de l´extravagante Mrs Quickly, ou du kilt et du petit chapeau melon du Dr Cajus. Falstaff, très clochard en ouverture de rideau, prend un bain de pieds tout en saucissonnant assis sur le bord du plateau. Alice et Meg sont habillées en soeurs jumelles pour tous leurs changements de costumes pour signifier peut-être la proximité de l´usage qu´en voulait faire Falstaff.


Véronique Gens (Mrs Alice Ford),
Susanne Resmark (Mrs Quickly),
 Gaëlle Arquez (Mrs Meg Page),
Ekaterina Siurina (Nannetta)


Quelques trouvailles scéniques agrémentent la soirée. Pour la deuxième scène, le plateau tournant est dressé d´une série de cordes à linges disposées en rayons concentriques, sur lesquelles des draps blancs sont mis à sécher. Eike Gramms trouve une solution ingénieuse pour la scène où Falstaff est précipité dans la Tamise. Le rideau de scène semi-transparent s´élève à hauteur du plateau pour figurer le fleuve dans lequel le malheureux est jeté. Il s´élève ensuite entièrement et un double de Falstaff descend du cintre ex machina entouré de jolis poissons multicolores. Dans la scène suivante, Falstaff vide l´eau de ses chaussures, métonymie suffisante de sa baignade forcée et de ses habits gorgés d´eau. La première partie de la scène du parc se passe elle aussi derrière le rideau, elle est baignée par la lueur bleuâtre d´un clair de pleine lune, une licorne blanche traverse la scène, suivie d´une libellule géante, des ombres sont projetées sur le rideau, des personnages fantastiques portent sur la tète des bois enluminés. Pour le grand final, le rideau est levé sur un feu d´artifices de personnages carnavalesques en costumes où le rouge et le noir dominent, une explosion vibrante de couleurs a contrario du minimalisme scénique qui a dominé tout l´opéra.
Asher Fisch communique avec l´orchestre et le plateau en spécialiste du répertoire verdien, avec un jeu précis, souple et dynamique et un bel équilibre entre le jeu de la fosse et celui des chanteurs. Le plateau est dominé comme il se doit par le Falstaff d´Ambrogio Maestri et la très belle Alice de Véronique Gens, une chanteuse que l´on connaît davantage dans le répertoire baroque et mozartien et qui a abordé récemment avec Alice son premier rôle verdien à Baden-Baden puis à Nantes avant de le chanter cette saison à Munich. Ford devait être chanté par Simon Keenlyside qui a du renoncer à ce rôle pour lequel il a été remplacé par George Petean qui donne une prestation en dessous des attentes, peu convainquant dans l´expression de la colère et manquant de force indignée et de tragique dans le E sogno? E realtà? à la fin du deuxième acte. Si la Meg de Gaelle Arquez est délicieusement pétillante, Susanne Resmarck déçoit en Mrs Quickly en ne rendant pas suffisamment la pétulance et la splendeur verdienne  de ce personnage plein de verve, avec un chant qui manque tant d´articulation que de vivacité dans la projection. Deux membres de la troupe de l´Opéra de Bavière, Goran Jurić et Kevin Conners, incarnent avec talent Pistola et Bardolfo. Ekaterina Siurina (Nannetta) et Antonio Poli (Fenton) chantent avec bonheur le jeune couple dont Ford refuse le mariage. Coutumier du rôle, Carlo Bosi chante un excellent Dr Cajus. Amoureux éconduits et atteints par la limite d´âge, Falstaff et Cajus finiront par faire contre mauvaise fortune bon coeur, ayant appris à leurs corps et à leurs coeurs défendants que tutto il mondo è burla!
Prochaine représentation le 19 février 2015. Quelques places restantes.
Crédit photographique:  Wilfried Hösl