Les éditions Gallimard ont publié récemment Vers le sud et autres poèmes, de Juan Gelman, dans la collection Poésie/Gallimard
Note IV
la crainte de la vieillesse vieillit-elle ?
la crainte de la mort, nous meurt-elle ?
qu’est-ce que je fais avec les mille moi
de mes compagnons morts ?
suis-je en train de m’emmourir ?
peut-être que je les crains/tous aimés ?
je peut-être te crains paco/visage
comme une joie humaine ?
ou peut-être que je les envie ?/
ou peut-être que je les envie ?/
ensemble comme nous le serions alors
sans souffrance à soi à autrui ?
mais pourquoi me pleurer en vous
autres morceaux de ma vie ?
peut-être que je peux enfin pleurer ?
peut-être que je peux enfin pleurer ?
./
Passages
au-dessus de mes sourcils/et même
au-dessus de mes yeux et de ma bouche/je comprends la situation parfaitement/
je plane comme le premier albatros/tirant le ciel sur le monde/
avec le soleil/la lune/les étoiles/les oiseaux des branches les plus hautes.
et rien d’altère la douceur de mon cœur tout récent/
ni les ondes de la mer qui mirent fin à l’adolescence de cléanorides/
qui est mort pour la patrie à l’âge qui ne connaît pas encore la tendresse d’une femme/
ni les couilles de feu assises sur la gorge de sabastián qui parle de sa famille/
ni celui qui aujourd’hui s’est fusillé la mémoire en se jetant du huitième étage
qui gît maintenant dans la rue et on lui a couvert le visage d’un secret commun/
ni stésichore non plus qui âgé se plaignait
du vent du nord/rouge d’éclairs/qui selon lui remuait
les désirs bouillonnants dans sa tête
depuis qu’il avait vu les genoux de juana inés à l’âge de 5 ans/
mais maintenant
donne-moi des mots pour jouer et dormir/avant que
au-dessous de mes sourcils/
et même au-dessous de mes yeux et de ma bouche/je commence à ne comprendre plus rien de rien/
que mon cœur sorte en criant qu’il comprend qu’il ne comprend pas/
et que les changements et la furie des bêtes
se mettent tranquillement à manger/
que ferions-nous alors de la discrétion des esprits/
de l’intelligence des langues/de l’air/des mots ?/que ferions-nous
de Dieu lui-même/pauvre petit/assis sur les genoux de juana inés pour apaiser on éternité ?/
ces vers sont en train de tomber malades/La terre
se souvient du passage de l’animal qui passe/
comme je me souviens de toi/femme qui passes par là/
dans ces vers que ne va plus lire ma jeunesse/
les compagnons sont morts les lèvres collées à l’univers/
ils ont entendu le chant de l’oiseau qui annonce les hauteurs
et je suis triste de l’animal d’en bas/
qui ne dort pas/qui ne peut pas dormir/
Juan Gelman, Vers le sud et autres poèmes, présenté et traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet, postface de Julio Cortázar, Poésie/Gallimard, n°491, 2014, pp.37, 265 et 266.
Juan Gelman dans Poezibao :
bio-bibliographie, extrait 1,, un séminaire du PIAL avec Jacques Ancet, extrait 2, prix Cervantès, ext. 3, La mort de Juan Gelman