Comme il l'aimait son chien !

Publié le 17 février 2015 par Dubruel

d'après HISTOIRE D’UN CHIEN de Maupassant

Un bon garçon, ce Julot.

Il était le cocher des Barrault

Qui habitaient à Neuilly

Dans un vaste hôtel particulier.

Le cocher, libre les samedis,

Aimait se promener.

Ce jour-là, une chienne sans collier

Est venue trotter à ses côtés.

D’une maigreur affolante,

Elle avait les mamelles pendantes

Et les oreilles collées sur sa tête.

Quand Julot voulait chasser ce squelette,

L’animal au petit trot revenait.

Julot caressait ses os saillants

-« Allons, viens maintenant ! »

La chienne remuait la queue

Comme pour remercier

Ce maître généreux.

Julot obtint de son patron

L’autorisation de la garder

À la maison.

Mais la chienne n’a pas tardé à se montrer

Fort dévergondée.

Elle reçut tant d’hommages de roquets,

De terriers, de griffons, de bassets,

De moustachus, de frisés…

Qu’elle produisit

Des petits

En grandes quantités

De toutes les races connues

Et inconnues.

Julot les noyait dans la Seine

Par demi-douzaines.

-« Débarrassez-moi de ce chien ! »

Exigea le patron du cocher.

Comme les voisins refusèrent de l’adopter,

Julot voulut l’égarer. En vain.

Il le confia à un voyageur

Afin qu’il le lâchât

Dans un lointain secteur.

Le lendemain l’animal était rentré.

Cette fois, le patron se fâcha :

-« Flanquez-la à l’eau, et sans délai. »

Le cocher emmena la chienne

Jusqu’à la Seine.

Il lui ficela une corde autour du cou,

Attacha un pavé à l’autre bout,

Et lança le paquet dans l’onde.

La chienne flotta quelques secondes,

Se débattit, nagea un peu en rond

Puis la pierre l’entraina au fond.

Quelques bulles apparurent à la surface.

Julot eut une atroce grimace.

Il l’avait noyée fin avril

Et allait l’oublier

Quand, en juillet,

Il dut conduire ses patrons

Dans leur maison

De Sotteville

Où ils allaient passer trois semaines.

Un matin, comme il faisait très chaud,

Julot partit se baigner dans la Seine.

Au moment d’entrer dans l’eau,

Une puanteur lui envahit les narines.

À sa grande stupéfaction,

Il aperçut dans une anse voisine,

Le corps d’un chien en putréfaction.

Une corde pourrie flottait à son côté.

C’était sa chienne qui avait été portée

Par le courant jusqu’ici,

À soixante lieues de Paris.

Le cocher fut si bouleversé

Qu’il se mit à errer.

Il marcha tant, qu’au soir venu,

Il s’était perdu.

Pour rentrer, il fut obligé

De demander son chemin.

Depuis, Julot n’a plus jamais

Câliné aucun chien.

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