d'après HISTOIRE D’UN CHIEN de Maupassant
Un bon garçon, ce Julot.
Il était le cocher des Barrault
Qui habitaient à Neuilly
Dans un vaste hôtel particulier.
Le cocher, libre les samedis,
Aimait se promener.
Ce jour-là, une chienne sans collier
Est venue trotter à ses côtés.
D’une maigreur affolante,
Elle avait les mamelles pendantes
Et les oreilles collées sur sa tête.
Quand Julot voulait chasser ce squelette,
L’animal au petit trot revenait.
Julot caressait ses os saillants
-« Allons, viens maintenant ! »
La chienne remuait la queue
Comme pour remercier
Ce maître généreux.
Julot obtint de son patron
L’autorisation de la garder
À la maison.
Mais la chienne n’a pas tardé à se montrer
Fort dévergondée.
Elle reçut tant d’hommages de roquets,
De terriers, de griffons, de bassets,
De moustachus, de frisés…
Qu’elle produisit
Des petits
En grandes quantités
De toutes les races connues
Et inconnues.
Julot les noyait dans la Seine
Par demi-douzaines.
-« Débarrassez-moi de ce chien ! »
Exigea le patron du cocher.
Comme les voisins refusèrent de l’adopter,
Julot voulut l’égarer. En vain.
Il le confia à un voyageur
Afin qu’il le lâchât
Dans un lointain secteur.
Le lendemain l’animal était rentré.
Cette fois, le patron se fâcha :
-« Flanquez-la à l’eau, et sans délai. »
Le cocher emmena la chienne
Jusqu’à la Seine.
Il lui ficela une corde autour du cou,
Attacha un pavé à l’autre bout,
Et lança le paquet dans l’onde.
La chienne flotta quelques secondes,
Se débattit, nagea un peu en rond
Puis la pierre l’entraina au fond.
Quelques bulles apparurent à la surface.
Julot eut une atroce grimace.
Il l’avait noyée fin avril
Et allait l’oublier
Quand, en juillet,
Il dut conduire ses patrons
Dans leur maison
De Sotteville
Où ils allaient passer trois semaines.
Un matin, comme il faisait très chaud,
Julot partit se baigner dans la Seine.
Au moment d’entrer dans l’eau,
Une puanteur lui envahit les narines.
À sa grande stupéfaction,
Il aperçut dans une anse voisine,
Le corps d’un chien en putréfaction.
Une corde pourrie flottait à son côté.
C’était sa chienne qui avait été portée
Par le courant jusqu’ici,
À soixante lieues de Paris.
Le cocher fut si bouleversé
Qu’il se mit à errer.
Il marcha tant, qu’au soir venu,
Il s’était perdu.
Pour rentrer, il fut obligé
De demander son chemin.
Depuis, Julot n’a plus jamais
Câliné aucun chien.
-----------------------------------------------