Si les futurologues sont nombreux à imaginer un avenir sans « cash », dans lequel les instruments de paiement électroniques sont devenus la norme, la réalité est moins glorieuse : aucune solution n'offre la même universalité et n'est donc susceptible de se substituer aux pièces de monnaie et aux billets de banque. Sauf en Inde…
Que la révolution – car c'en est bien une – arrive par les pays émergents ne doit pas surprendre. Ils sont en effet les premiers concernés par l'urgence de changer la tradition des transactions en espèces et de développer l'accès de leurs populations aux services bancaires, afin de favoriser leur développement économique. En parallèle, l'explosion de la téléphonie mobile et, plus récemment, l'adoption massive de smartphones représentent pour eux des opportunités incomparables de franchir un nouveau cap.
Parmi d'autres régions, l'Inde est particulièrement bien placée pour prendre la tête du mouvement, grâce à sa gouvernance forte dans le secteur financier. Ainsi, la nouvelle initiative [PDF] – qui la fera entrer de plain pied dans le 21ème siècle – est à porter à l'actif de la NPCI (« National Payment Coporation of India »), une association mixte publique-privée, créée à l'initiative de la banque centrale et de l'association des banques indiennes et dont la mission est de faire progresser les systèmes de paiement dans le pays.
En l'occurrence, la méthode employée afin de piloter la transition vers des échanges électroniques (et surtout mobiles) est absolument brillante. Alors qu'on aurait pu s'attendre à l'élaboration d'une usine à gaz tentant de résoudre tous les problèmes du secteur (et n'aboutissant jamais), la NCPI propose simplement de définir [PDF] un jeu d'APIs standards, qui doivent permettre à tous les acteurs de l'écosystème (institutions financières, fournisseurs de porte-monnaie virtuels, commerçants, entreprises…) d''intégrer facilement leurs solutions avec toutes les autres.
Les spécifications qui viennent d'être publiées – initialement en version préliminaire, pour commentaires des parties prenantes – reposent sur quelques fondations solides. Tout d'abord, chaque utilisateur dispose d'au moins une « adresse » unique, qui suffit à l'identifier pour réaliser toutes ses opérations de paiement, sans qu'il lui soit jamais nécessaire de transmettre une autre information. Il peut s'agir, par exemple, d'un numéro de mobile, d'un numéro de carte, d'une référence de compte bancaire ou de l'identifiant national « Aadhaar », offrant un service d'authentification biométrique.
Tous les types de transactions sont pris en charge, du règlement unitaire aux demandes de prélèvement, en passant par les paiements récurrents, que le bénéficiaire et le payeur soient des particuliers, des entreprises ou des organismes publics. La vision portée est celle d'un système global dans lequel il suffit à un acteur de se connecter aux APIs de la NPCI pour pouvoir gérer les transferts d'argent de manière transparente, à travers tout média existant (carte, virement interbancaire, porte-monnaie mobile, GAB…), quels que soient son fournisseur et son mode d'identification des comptes.
Dans ce modèle, le rôle opérationnel de la NCPI se réduit à celui d'une plaque tournante (« hub »), gérant les « connexions » entre les interfaces des différents participants (en ce qui concerne les identifiants et les transactions). La relative simplicité de ce dispositif est justement ce qui le rend viable et réaliste. De surcroît, cette approche par l'« interopérabilité » a l'immense avantage de rester ouverte à toutes les innovations – d'aujourd'hui et de demain – en matière de paiements…
Autrefois, les banques centrales créaient et géraient la monnaie nationale et en garantissaient la liquidité. Dans le monde numérique moderne, ce sont désormais, d'une certaine manière, des APIs qui vont devoir remplir cette mission…