« L’excès de liberté ne peut tourner qu’en excès de servitude pour un
particulier aussi bien que pour un État. » (Platon, "La République").
Le débat sur la proposition de loi n°2512 sur la fin de vie débute ce mardi 17 février 2015 après-midi au cours d’une séance de la commission des affaires sociales de l’Assemblée
Nationale, avant la discussion en séance publique dans l'Hémicycle les 10 et 11 mars 2015. En tout, 11 923 contributions de citoyens ont été reçues par les députés. Un débat essentiel qui
touche tous les citoyens, d’une manière ou d’une autre, et qui, contrairement aux précédents débats sur le sujet depuis cinq ans, va certainement aboutir au vote d’une nouvelle loi qui viendra
compléter la loi du 22 avril 2005 (loi Leonetti).
Dans mes précédents articles sur la fin de vie, j’ai salué la position très prudente du Président de la République François Hollande ainsi que son soutien à un aménagement de la loi
actuelle sans faire de révolution juridique.
Il en est pourtant des dogmatiques qui contestent cette position et qui réclament la légalisation de l’euthanasie qui voudrait dire, étymologiquement, "mourir bien" (en grec) comme si on pouvait mourir bien ou
mal. La mort ne sera jamais une partie de plaisir, et un État qui se met à légiférer sur la mort me donne toujours des frayeurs. Il y a beaucoup de leurre de la part des humains qui veulent tout
contrôler de leur vie.
Cependant, j’aimerais reprendre les principaux arguments que ces lobbyistes de la "bonne mort" utilisent pour
prendre en otage toute une nation avec des valeurs particulièrement inquiétantes. Deux arguments sont principalement martelés : la souffrance et la liberté, et d’autres, moins insistants,
viennent ensuite.
1. La souffrance
Cet argument est plutôt utilisé comme contre-argument. En gros, les lobbyistes insultent ceux qui s’opposent
fermement à la légalisation de l’euthanasie en leur reprochant leur manque d’humanisme et leur manque de compassion parce qu’ils aimeraient voir souffrir les personnes malades.
C’est le même procédé que lors du débat sur le mariage
homosexuel où certains lançaient injustement : "ceux qui sont contre sont forcément des homophobes", et la discussion se terminait rapidement.
Cette même mauvaise foi engage particulièrement mal le débat sur la fin de vie et heureusement, le
gouvernement n’y a pas succombé. Alors, autant les rassurer : personne, à ma connaissance, n’a jamais voulu la souffrance et tout le monde veut la vaincre. Il est loin le temps où certains
osaient dire que la souffrance était rédemptrice.
Mais que proposent ceux qui veulent l’euthanasie ? Que lorsqu’il y a souffrance, on supprime purement et
simplement la personne qui souffre. La solution est, il est vrai, intellectuellement simple et physiquement rudement efficace. Plus de personne en souffrance, plus de souffrance.
1.1. Manichéisme simpliste vs soins palliatifs
Est-ce l’ambition d’une société humaniste, justement ? Eh bien, je suis convaincu que non. Qu’il n’y a
pas que cette alternative : ou tu souffres, ou tu crèves. Un manichéisme simpliste qui ne fait pas avancer un débat sensible et difficile, complexe et subtil, aussi national qu’intime.
Au contraire, il y a une autre possibilité, la seule qui vaille dans notre société de solidarité, c’est
d’accompagner au mieux la personne qui souffre, non dans sa mort, mais dans sa vie, dans ces quelques moments qui lui reste à vivre. Et là, évidemment, le développement des soins palliatifs est
essentiel : développement des structures au sein des établissements médicalisés, multiplication des structures mobiles à domicile, quasiment inexistantes, formation initiale de tous les
médecins, etc. Les soins palliatifs ne doivent pas être un service à part mais être présents dans tous les services d’un hôpital.
Il y a une véritable culture des soins palliatifs à acquérir. Pour l’instant, seulement 20% des 300 000
personnes qui en ont besoin en bénéficient : c’est là le scandale, c’est là que la société solidaire doit se réaffirmer avec plus de force, plus de vigueur budgétaire.
La loi du 22 avril 2005 a fait beaucoup avancer le droit des personnes malades, notamment en instituant le
droit à avoir des soins palliatifs, et le droit de ne plus avoir de traitements médicaux si le patient le demande, en clair, la fin de "l’acharnement thérapeutique".
1.2. Des sondages simplificateurs
Les partisans de l’euthanasie qui ne représentent qu’un petit groupe (ce sont toujours les mêmes qui
s’expriment dans les médias, « une association manipulatrice et extrémiste », dixit l’avocat blogueur Koz) se vantent d’être les représentants d’une immense majorité des Français, oscillant entre 90 et 95% …des sondés.
Le souci, c’est qu’ils se basent effectivement sur des sondages (on en pense ce qu’on veut mais ils servent quand même parfois d’indicateurs
utiles) qui généralement, ne donnent que deux possibilités au sondé : ou souffrir, ou se faire euthanasier. Comme personne n’est masochiste, on se demande même pourquoi il n’y aurait pas
100% contre le fait de souffrir.
Cependant, des études plus fines montrent que la loi du 22 avril 2005 qui propose justement les soins
palliatifs, la lutte contre la souffrance et les moyens de l’apaisement, est très peu connue, alors qu’elle répond à la très grande majorité des situations douloureuses des personnes en fin de
vie. Non seulement les citoyens ne la connaissent pas, mais une grande partie également des soignants, en particulier médecins et infirmiers (en 2008, moins de 10% des cancérologues pouvaient
dire ce que contenait précisément la loi Leonetti !).
Ces derniers n’en sont pas vraiment fautifs : lorsque la loi a été mise en application, le Ministre de
la Santé de l’époque avait refusé d’en faire une large publicité car il était plutôt opposé aux dispositions de la loi. Ce déficit de communication gouvernementale a donc eu les conséquences
mécaniques sur les sondages. Une loi méconnue et insuffisamment appliquée.
1.3. L’émotion, mauvaise conseillère du législateur
Troisième point à propos cet argument sur la souffrance, après le manichéisme simpliste de la présentation
des enjeux et les sondages aux questions elles aussi manichéennes, l’émotion : la plupart du temps, le mode d’expression de ces personnes qui militent pour l’euthanasie se fait dans le
registre de l’émotion. Et c’est bien normal de réagir à l’émotion, c’est très humain. Mais ce n’est pas par l’émotion qu’on résout efficacement un problème. Surtout juridiquement.
Dans l’actualité, il y a un certain nombre de situations qui sortent de l’intimité des familles, la dernière
en date concerne Vincent Lambert qui n’avait pas demandé une telle mise en lumière, mais chaque année, ce sont plusieurs dizaines de milliers qui
sont dans ces situations très douloureuses.
Pourtant, s’il y a un reproche qu’on peut faire au législateur depuis plusieurs décennies, c’était déjà
valable à l’époque de Raymond Marcellin dans les années 1970, c’est bien de faire trop de loi, et de les faire sous le coup de l’émotion après un fait divers particulièrement choquant ou
touchant. C’est souvent le cas sur la sécurité et les lois contre la délinquance et la criminalité. Jamais il n’y a eu d’évaluation sérieuse de ces lois, de leur efficacité, de leur utilité
etc.
Heureusement, sur la fin de vie, la raison l’a emporté sur la passion et l’émotion, mauvaises conseillères,
dans le débat parlementaire qui s’engage aujourd’hui.
2. La liberté individuelle
L’autre grand argument, tout à fait respectable puisqu’il fait partie de notre devise républicaine, c’est la
liberté individuelle. Si j’avais envie de mourir prématurément (pour ne pas souffrir), je devrais en avoir le droit et cela me concernerait uniquement moi, toi, tu pourrais toujours continuer à
souffrir si tu ne voulais pas être euthanasié.
Là encore, même argumentation que pour le mariage homosexuel : cela apporterait des libertés en plus
pour les uns, et les autres ne seraient pas concernés. Pour le mariage homosexuel, ses concepteurs ont juste oublié qu’au-delà du couple (deux personnes qui s’aiment font ce qu’elles veulent), il
y a éventuellement des enfants, avec leurs droits, et un État dont le devoir est de les protéger.
Pour la fin de vie, c’est évidemment beaucoup plus grave que pour le mariage. Il s’agit déjà de bien
comprendre quelle est la volonté de la personne en fin de vie. Qu’est-ce que la liberté individuelle ?
Il y a à la base le suicide, purement et simplement. Des personnalités célèbres l’ont prôné, certains allant
jusqu’à l’acte final, comme l’ancien Ministre socialiste du Logement Roger Quilliot, philosophe et agrégé de grammaire, le 17 juillet 1998. Un suicide philosophique. Respectable, comme tous les
suicides. Mais il faut bien accepter le fait qu’une société solidaire et humaniste ne peut en aucun cas encourager le suicide, même philosophique. Elle doit au contraire le combattre.
Le problème qui se pose, évidemment, c’est lorsque la personne qui veut en finir n’est plus capable de se
suicider seule. D’où cette demande soit d’euthanasie (un tiers, le médecin par exemple, commet l’acte), soit de suicide assisté (un tiers apporte les moyens matériels pour commettre l’acte).
2.1. La volonté personnelle fluctuante et sous influence sociale
Mais comment être sûr de la volonté individuelle ? On a parlé des directives anticipées, j’ai évoqué les risques que pèserait la seule prise en compte de directives anticipées rédigées en
général quand on est en bonne santé.
Et face à la pression sociale (charge pour la société), la pression de la famille (l’accompagnement est
épuisant), sans prendre même en compte l’intérêt pécuniaire d’éventuels héritiers (tout n’est pas réduit à l’argent, heureusement), que signifie vraiment liberté individuelle quand une pauvre
grand-mère âgée et malade se sent de trop dans une société qui ne lui montre plus son amour ni sa reconnaissance ? Où est l’humanisme ?
Le médecin Gilbert Desfosses, président de la Société française des soins palliatifs et responsable de
l’unité de soins palliatifs au Groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon (Paris) jusqu’en janvier 2013, remarquait : « La plupart des
grands malades s’adaptent à leur maladie. Les demandes d’euthanasie, lorsqu’elles existent, sont en fait ambivalentes et reflètent la peur de vivre, elles peuvent fluctuer dans le temps, car le
malade passe par différents états de révolte, de peur, de dépression, et se renverser dans des phases d’apaisement. ».
2.2. Expériences à l’étranger
Une fois que la transgression est réalisée, il n’y a plus de limite. Le "cadre strict" souvent évoqué pour
légaliser l’euthanasie éclatera au fil des évolutions futures, comme le démontre très bien la Belgique dont le champ d’application s’est élargi au fil du temps depuis la loi du 28 mai 2002. Où
est la liberté individuelle pour un gosse de 7 ans ? pour une personne atteinte de troubles mentaux ? Plusieurs cas d’euthanasie pour dépression ont même été constatés, alors qu’on ne
pourrait jamais affirmer que la dépression est une maladie incurable. Par ailleurs, la Belgique autorise le prélèvement d’organes sur les personnes euthanasiées, ce qui donne une idée des
évolutions futures, sur la lancée du film "Soleil vert".
Il est aussi fait appel à une légalisation de l’euthanasie pour mieux l’encadrer et éviter les dérives avec
une législation "floue". La réalité, c’est qu’aux Pays-Bas, la moitié des euthanasies pratiquées sont illégales (clandestines), c’est-à-dire sans l’avis du médecin, et donc sans le consentement
de la personne, alors qu’elles sont légales dans des conditions strictes (loi du 12 avril 2001). Un encadrement n’empêche donc pas les dérives, au contraire les accroît par rapport au vide
juridique car personne ne viendra protester auprès des juges un acte qui est juridiquement autorisé. La commission des droits de l’Homme des Nations Unies s’est d’ailleurs inquiétée du taux
anormalement élevé d’euthanasies dans ce pays.
L’argument d’autorité qui explique que certains pays étrangers, que certains voudraient imiter, ont adopté une législation favorable à l’euthanasie est à donc
double tranchant, quand on observe précisément ce qu’il se passe en Belgique, aux Pays-Bas, et même en Suisse dont l’absence d’interdiction a fait développer tout un juteux commerce du suicide
assisté où les abus sont tels que les autorités helvétiques envisagent maintenant de réagir en l’interdisant. Des organisations privées qui profitent assidûment de cette brèche juridique, peu
nombreuses sur ce marché inespéré, font beaucoup de prosélytisme partout en Europe, en particulier en France et en Allemagne. Pour quelques milliers d’euros, elles peuvent proposer la mort clef
en main en moins de quatre heures, entre le premier contact et le constat du décès, parfois dans des conditions épouvantables (on est loin de la dignité).
Dès 1999, par sa recommandation 1418, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait déjà vivement
encouragé ses membres « à respecter et à protéger la dignité des malades incurables et des mourants (…) en maintenant l’interdiction absolue de
mettre intentionnellement fin à la vie des malades incurables et des mourants. ».
La bonne question serait plutôt : pourquoi la très grande majorité des nations démocratiques (laissons
de côté les régimes totalitaires justement) a conservé l’interdit de l’euthanasie ? La loi doit protéger les plus faibles, pas encourager leur élimination.
2.3. La liberté de mourir et la liberté (et le devoir) de ne pas tuer
Le vide juridique est sage car aucune loi ne saurait régir tous les cas particuliers de fin de vie. Chaque
fin de vie est particulière. En cas de doute, comme cela s’est déjà passé, l’affaire est jugée et même si c’est éprouvant, c’est nécessaire pour séparer ceux qui, de bonne foi, ont cherché la
meilleure solution, des coureurs d’héritage et autres criminels (par exemple, un infirmier du Stepping Hill Hospital de Stockport, près de Manchester, arrêté pour avoir empoisonné au moins trois
patients en juillet 2011).
Par ailleurs, la liberté des uns ne doit pas empiéter la liberté des autres. Or, un "droit" à l’euthanasie
entraînerait de fait un devoir pour un tiers de commettre l’acte de tuer, ce qui est une entrave à la liberté du tiers.
L’Académie de médecine a rappelé le 20 janvier 2014 la
mission des médecins : « Il n’est pas dans la mission du médecin de provoquer délibérément la mort. Aucun médecin ne saurait consentir à donner
la mort. Aucun médecin ne saurait se voir imposer par la loi de transgresser cet interdit fondateur. ».
2.4. Droit fondamental à la vie
De plus, cela remet en cause un autre droit fondamental, le droit à la vie.
Robert Badinter,
très écouté sur ces questions car il est celui qui a aboli la peine de mort en France en tant que Ministre de la Justice, a pour cette raison rejeté l’idée d’une "exception d’euthanasie" :
« Le droit à la vie est le premier des droits de l’Homme, personne ne peut disposer de la vie d’autrui. ».
Petit à petit, au nom d’une supposée "liberté individuelle", la société pourrait évoluer vers un eugénisme
qui ne dirait pas son nom. Déjà, la télévision, la littérature, le cinéma, la publicité insistent sur le besoin d’être jeune, beau, fort, en bonne santé (je le mérite bien !). Toute personne
déviante, qui aurait un handicap, qui ne serait plus autonome, qui serait trop âgée, qui serait trop malade… devrait être cachée voire éliminée d’une manière ou d’une autre. L'aboutissement d'une
société matérialiste et consumériste.
D’ailleurs, cette liberté n’est pas seulement individuelle, elle est collective et elle doit ainsi s’exercer
avec une responsabilité collective. Voulez-vous la liberté de ne pas se faire vacciner ? Certes, mais on sait que les épidémies sont maîtrisées seulement à partir d’une certaine proportion
de personnes vaccinées. Ne pas me faire vacciner n’influe donc pas seulement sur ma propre vie, mais
aussi sur celle de toute une population dans laquelle je vis et même sur l'évolution des virus qui peuvent muter en ne stoppant pas l'épidémie.
2.5. Les contingences économiques et la recherche médicale
Pour l’euthanasie, ce serait pareil si jamais on voulait la légaliser. La raison économique l’emporterait sur
tout le reste. Or, que dicteraient les finances publiques ? De limiter les dépenses. Les soins palliatifs coûtent très cher, mais à quoi bon, puisqu’il serait possible d’euthanasier ?
Ne pas demander l’euthanasie, ce serait alors fatalement vouloir croître l’endettement public pour ses enfants… difficile de résister à une telle pression sociale où le sentiment de culpabilité
se jouxterait avec un sentiment d’inutilité sociale voire de boulet.
Et comment réussir à soigner des maladies aujourd’hui incurables si tous les malades préfèrent se faire
euthanasier ? Il n’y aurait plus de progrès dans la recherche médicale et de nouvelles maladies viendraient, incurables, et les hommes resteraient impuissants face à elles car ils auraient
apporté une solution bien plus simple et bien moins coûteuse qu’un projet de recherche médicale. Le progrès scientifique, c’est justement de croire qu’une maladie incurable aujourd’hui puisse se
soigner demain.
3. La modernité historique, les avancées sociales
Dans une mythologie qui reprend assez bien la mythologie socialiste de 1936 (congés payés), puis de 1981
(retraite à 60 ans), puis de 1997 (les 35 heures), bizarrement, il n’y a rien en 2012, où il y aurait une lente progression sur les avancées sociales et sociétales, en oubliant par exemple que
De Gaulle a fait en 1945 et 1968 beaucoup plus que Blum et Mitterrand réunis, les partisans de l’euthanasie veulent faire croire à une étape d’avancée sociétale en citant des sujets
complètement différents comme la légalisation de l’avortement, l’abolition de la peine de mort,
l’institution du mariage gay...
J’évite au préalable la question très philosophique sur la modernité, pourquoi faut-il une société en
avancée, en progrès, en modernité ? Je crois au progrès, mais pas tout le monde, et notamment pas les partisans de la décroissance, et je conçois que cette question se discute. Pourquoi ne
pas vouloir une société statique, imparfaite mais encore satisfaisante ? Je crois cependant que tout est améliorable, donc, la notion de progrès me paraît pertinente, surtout dans l’action
politique. Mais il reste ensuite à définir ce qu’est un progrès et on sait bien que parfois, ce n’est pas un progrès, même présenté comme tel, mais une régression, un retour en arrière.
Prenons justement l’abolition de la peine de mort. Philosophiquement, ceux qui considèrent que la société n’a
pas le droit de toucher à la vie et au contraire, doit la protéger, ne peuvent être à la fois pour l’abolition de la peine de mort et pour l’euthanasie qui est une forme très sournoise de la
peine de mort, Vincent Lambert pourrait même en être la première victime. Inversement, ceux qui sont philosophiquement contre l’euthanasie et
contre toute transgression sur l’interdiction de tuer ne peuvent être que favorables à l’abolition de la peine de mort.
Pour moi, autoriser l’euthanasie serait une véritable régression historique. La société ne serait plus
chargée d’accompagner un mourrant mais carrément de l’achever. Où se situerait la modernité ? Où se situerait l’avancée ? Cela rappelle plutôt des solutions très expéditives d’il y a
plus de soixante-dix ans.
S’il devait y avoir une comparaison sur le thème de la fin de vie à proposer concernant l’histoire
législative de la France, ce serait à mon avis avec la laïcité et la loi du 9 décembre 1905. Une nouvelle
loi sur la fin de vie qui touche si intimement chaque citoyen doit se faire sur la base d’un large consensus, comme elles ont toutes été adoptées jusqu’à maintenant, comme celle du 22 avril 2005.
Le gouvernement a estimé nécessaire ce rassemblement pour un sujet aussi grave et il a eu raison.
4. Les animaux auraient plus de chance
Les partisans de l’euthanasie évoquent souvent l’idée que les animaux domestiques, lorsqu’ils sont en fin de
vie, seraient plus chanceux que leurs maîtres car ils auraient droit à cette injection létale que le vétérinaire propose.
Cette réflexion manque curieusement de perspicacité. J’évite d’aborder un débat très philosophique sur la
différence entre un être humain et un animal (qui sont maintenant reconnus comme des êtres vivants sensibles et pas seulement des biens meubles),
mais cette piqûre finale est loin d’être un "droit" du malheureux animal.
Elle se justifie pour une raison simple : c’est qu’il serait coûteux de mettre en œuvre les soins pour
les animaux, je ne parle même pas de soins palliatifs ; coûteux et scandaleux quand on voit la détresse et l’extrême pauvreté de certains êtres humaines. C’est donc une solution de facilité,
de réduction des coûts financiers, et c’est moralement admissible parce que justement, ce sont "seulement" des animaux et pas des humains. Libre à chacun de croire qu’un être humain n’est qu’un
animal comme un autre, mais ce n’est pas ainsi que je conçois la personne humaine.
Si la société des hommes n’avait que la solution de les achever quand ils ne sont plus dans la norme, ce
serait une piètre société qui n’aurait plus rien d’humain. Juste de la gestion d’individus. Utiles ou pas. Dignes ou pas. Selon des critères qui pourraient effrayer.
Cœur et humanisme
Ne pas transgresser l’interdit de tuer qui ouvrirait les digues à tous les abus, voulus ou pas, et à tous les
risques si l’État venait à se retrouver sous le contrôle de groupes totalitaires.
Ne pas rompre le lien de confiance indispensable entre soignés et soignants, un médecin étant là pour soigner
ou accompagner mais certainement pas pour tuer.
Ne pas considérer les personnes en état de faiblesse comme des indignes, des inutiles, voire des
intouchables… reconnaître leur valeur intrinsèque, leur accorder le regard du droit à vivre même avec leurs incapacités.
Le docteur Gilbert Desfosses, par ailleurs président du Fonds pour les soins palliatifs, avait exprimé il y a
déjà quinze ans ce qui devrait guider les équipes médicales : « L’expérience de tous les soignants confirme la rareté de la demande d’euthanasie
exprimée par les malades. Lorsqu’elle existe, elle est le plus souvent en rapport avec une souffrance insuffisamment évaluée et mal comprise. Cette demande est majoritairement ambivalente,
variable dans le temps, en fonction de notre attitude et de notre capacité à apporter un soutien et des thérapeutiques ajustées. C’est un cri de détresse à entendre pour se mobiliser auprès du
malade. Voilà la dynamique à favoriser au sein des équipes soignantes. » ("La Croix" du 31 mars 2000).
Si le cœur doit s’exprimer dans ce débat sur la fin de vie, si les valeurs humanistes doivent s’exprimer dans
ce débat, alors, la société ne choisira pas la voix irréversible de l’euthanasie mais celle, plus difficile, plus coûteuse, plus ambitieuse, plus attentionnée, plus solidaire, de l’accompagnement
jusqu’à la fin des personnes qui souffrent, qu’elles soient malades, en perte d’autonomie, très âgées ou encore avec un grave handicap.
Je souhaite que ce soit cette voie qui prime dans le vote futur des parlementaires sur la fin de vie, et que
notre nation, qui a déjà été un modèle original dans le monde pour la laïcité, le soit également dans ce domaine si difficile à maîtriser, comme cela a commencé déjà à l’être avec la loi du 22
avril 2005. Éros, Philia et Agapê doivent l'emporter sur Thanatos.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (17 février 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Hollande et la fin de vie.
Commentaire sur la proposition Claeys-Leonetti.
La consultation participative du Palais-Bourbon.
La proposition de loi n°2512 (texte intégral).
Le débat sur la fin de vie à l'Assemblée Nationale du 21 janvier 2015.
Les directives anticipées.
L'impossible destin.
La proposition Massonneau.
Présentation du rapport Claeys-Leonetti (21 janvier 2015).
Le rapport Claeys-Leonetti du 12 décembre 2014 (à télécharger).
Vidéo de François Hollande du 12 décembre 2014.
Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie du 21 octobre 2014 (à télécharger).
Le verdict du Conseil d'État et les risques de
dérives.
Le risque de la GPA.
La décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 (texte intégral de la déclaration de Jean-Marc Sauvé).
L'élimination des plus faibles ?
Vers le rétablissement de la peine de mort ?
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP
sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national
d’éthique.
Le CCNE
refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de
Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre
2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à
télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à
télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et
expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Euthanasie :
les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter
Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à
Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.
(Les quatre tableaux en illustration sont de Salvador Dali).
(Le dessin est de Konk).
http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/l-euthanasie-une-fausse-solution-163730