L'article Louis Orlianges : rencontre avec l’éditeur de GQ a été publié sur le site MILANESE SPECIAL SELECTION par Laurent Le Cam.
Vendredi 30 janvier 2015, j’ai rendez-vous avec Louis Orlianges, éditeur de l’édition française du magazine GQ, pour parler de style, de presse, et surtout de ce que le lecteur français est en droit d’attendre du magazine masculin français le plus diffusé. Interview.
À bâtons rompus avec Louis Orlianges, GQ, Condé Nast France
Milanese Special Selection – Louis Orlianges, bonjour. Vous êtes éditeur chez Condé Nast France, qui publie notamment Vogue, GQ et Vanity Fair. Je rappelle que c’est vous qui avez lancé GQ en France, c’était en 2008, avec une ambition commerciale forte, puisque vous visiez le cap des 100 000 exemplaires diffusés (vous nous direz ce qu’il en est aujourd’hui). En quoi consiste votre activité au quotidien ?
Louis Orlianges, GQ – « Editeur », chez Condé Nast, ça veut dire « chef de marque ». Comme la marque désormais se déploie sur différentes plateformes de plus en plus originales, complexes, excitantes, ce sens-là est celui qu’il faut retenir. Alors que « éditeur », dans d’autres groupes de presse, signifie plutôt « contrôleur de gestion » pour certains, « responsable de diffusion » pour d’autres, etc. La composante économique est très importante pour nous, puisque – ce n’est pas un secret – les magazines de Condé Nast vivent à 70% de la publicité ; ceci dit, c’est une part qui a tendance à diminuer, au profit principalement des événements, que ce soient des salons pour AD, du coaching pour GQ, des livres ou des hors-série pour Vogue, ce qui rend le rôle de chef de marque de plus en plus important. Puisque la marque s’étend, se diversifie, il faut en assurer la cohérence.
Milanese Special Selection – Quelles formes prend l’événementiel chez GQ ? On connaît la cérémonie des Hommes de l’année…
Louis Orlianges, GQ – La cérémonie des Hommes de l’année n’est pas une source de business. On essaye de ne pas perdre trop d’argent. C’est surtout un événement de communication. Nous avons réussi à communiquer de manière utile et optimisée, ce qui n’est pas facile pour un produit comme la presse magazine, parce que la distribution est compliquée, parce que le produit se renouvelle tous les mois. On ne peut pas faire de campagnes télé à 20 heures 30, donc il faut trouver des moyens un peu malins de communiquer, pas trop chers. La cérémonie des Hommes de l’année est une source de retombées médiatiques valorisées un million d’euros par Kantar Media. Donc c’est une très bonne opération, et pour le partenaire et pour GQ, parce que ça coûte, Dieu merci, moins d’un million d’euros (bien que ça coûte très cher en temps et en organisation). Pour nous, c’est un moyen de faire de la capillarité en allant toucher des influenceurs, alors que quand on fait l’Académie du Style, on va plutôt essayer de toucher les cadres. L’Académie GQ n’est pas de l’évènementiel, c’est un service payant qui, parce qu’il est totalement en phase avec les valeurs de GQ, contribue à notre communication.
Milanese Special Selection – Et qui a été lancé, ou qui sera lancé quand ?
Louis Orlianges, GQ – La première session de la Style Académie sera lancée la semaine prochaine, après quelques sessions à blanc qui nous ont permis d’inviter les partenaires, les annonceurs, pour qu’ils nous donnent leur avis, mais là, ça y est, nous avons nos premiers clients, nous avons surtout beaucoup de devis en cours, que ce soit pour des groupes (jusqu’à 70-80 personnes, je pense à des concessionnaires automobiles de marques haut de gamme) ou pour des cadres de grandes multinationales ; et puis on continue évidemment à avoir des demandes d’inscription individuelles. Le contenu est celui du magazine, c’est très important. Ce qui nous a pris le plus de temps, c’est de réadapter tous les visuels, les conseils du magazine au format formation. Ça paraît simple, ça ne l’est pas du tout. La manière dont on parle à un lecteur, seul avec son magazine dans son canapé, n’a rien à voir avec celle dont on parle à un groupe de 12-15 personnes. Pour ce qui est de la cible, le but c’est d’aller toucher les hommes qui sont moins ouverts au style et à la mode, ces jeunes cadres en entreprise qui ont de grandes ambitions, qui se sont beaucoup occupé de leurs études, du choix de leur formation, de leur entreprise, de se faire une place, et qui se disent que pour l’étape d’après, ils vont devoir upgrader leur style – entre autres. En général, ils sont technologiquement et intellectuellement très avancés, mais ont d’énormes lacunes en ce qui concerne le message qu’ils veulent donner, et comme on sait que ce message passe à plus de 60% par l’aspect extérieur (que ce soit dans une réunion, dans une présentation), ils ne peuvent pas faire l’impasse… Même si, encore une fois, le fond, ils l’ont. Cela représente une population très importante. La marque GQ touche aujourd’hui 3,3 millions de personnes à travers tous ses supports en France selon l’étude One, nous pensons que le potentiel se situe quasiment au double de ça.
Milanese Special Selection – D’autres événements en perspective ?
Louis Orlianges, GQ – Autre type d’événement (dans la mesure où les hommes ne viennent pas spontanément dans les magasins, il faut les faire venir), nous organiserons le 4 juin prochain, et pour la première fois dans le Marais, la première GQ Style Night : une soirée shopping, festive, en collaboration avec une centaine de boutiques.
Milanese Special Selection – Un peu comme ce que fait Vogue avec la Vogue Fashion Night.
Louis Orlianges, GQ – Oui, mais plus avec un angle plus shopping où les hommes viennent surtout pour dîner, boire un verre entre amis. La Vogue Fashion Night n’est pas une soirée shopping, c’est une célébration de la mode.
Milanese Special Selection – Je reviens au magazine. Comment s’articulent la publicité, dont vous avez la charge, et le rédactionnel ? Les marques de mode, notamment italiennes, sont des partenaires publicitaires importants. Au-delà de l’audience, qu’attendent de vous les annonceurs ?
Louis Orlianges, GQ – Les marques italiennes occupent une place à part pour la mode homme et le style masculin, elles ont très bien compris dès le début qu’on n’allait pas faire un magazine de mode, ce qui n’était pas évident ; elles ont très bien compris, parce qu’elles connaissent bien, et depuis longtemps, le marché français (qui n’est pas un marché facile), qu’il fallait passer par un aspect très didactique, d’accompagnement, comme le fait notre rubrique Style Académie, et donc, elles ont très bien compris, avec beaucoup d’intelligence, qu’on n’allait pas faire les shootings mode auxquelles elles étaient habituées, et du coup, ça se passe très bien, ce sont nos partenaires les plus fidèles depuis le début. Qu’est-ce qu’elles attendent de nous ? Qu’on explique, qu’on mette en avant leur spécificité, qu’on ne cherche pas à les assimiler aux autres.
Milanese Special Selection – En quoi le GQ français est-il spécifiquement français ? Quand je feuillette l’édition anglaise, elle me paraît beaucoup plus ancrée dans la mode, voire inféodée à la mode. Quand je lis l’édition italienne, je la trouve à la fois très marquée par des questions de politique intérieure et beaucoup plus technique pour tout ce qui touche au style ou à l’élégance, beaucoup plus ouverte à la « sartorialité », à l’art tailleur. Pourquoi pas nous, Français ? Pourquoi pas vous ? Est-ce une fatalité ?
Louis Orlianges, GQ – Non, non, non, ce n’est pas une fatalité. Il y a des magazines qui font ça très bien, je pense à Monsieur…
Milanese Special Selection – Monsieur n’a pas tout à fait la même audience.
Louis Orlianges, GQ – Et justement ! Pas les mêmes contraintes non plus. Nous nous adressons à une clientèle plus large, un peu plus jeune. Mais quand on fait le Manuel du style, deux fois par an, quand on fait le guide Les 100 choses à savoir sur…, c’est une offre pour aller plus loin que le magazine. De par sa périodicité, le magazine est destiné à coller aux tendances. On est très différent des autres GQ. Ceci dit, il n’est pas dans l’ADN de GQ de faire du sartorial ou d’aller vraiment dans le détail, on s’adresse à une clientèle qui a envie avant tout de rester cool. D’ailleurs, le GQ français est un de ceux qui, en termes de style et de mode, va le plus loin. Les autres éditions sont encore plus dans la coolitude, dans le plaisir, dans la consommation. Nous, la consommation, parce qu’on est Français, elle doit être expliquée, justifiée, déculpabilisée. On n’édite pas, comme en Grande-Bretagne, How to spend it. Paris est très différent de Londres. Une grande part du lectorat du GQ anglais n’est pas britannique, mais russe, moyen-oriental, international, a des moyens plus importants que les Français. Par ailleurs, vous savez, les jeunes traders britanniques ne s’embarrassent pas de détails ; ce qui compte, c’est que ça en jette, d’où un côté beaucoup plus jubilatoire, débridé dans le GQ anglais (qui est très énergisant, que j’aime beaucoup, mais qui n’est pas adapté au public français). Nous sommes plus proches du GQ américain, finalement, parce que, aux Etats-Unis, il y a une grande partie de la population qu’il faut accompagner. En France, nous sommes les seuls à avoir Vogue Hommes, positionné sur un créneau très mode et haut de gamme. Les deux magazines n’ont pas vocation à empiéter sur leurs territoires respectifs.
Milanese Special Selection – Qu’en est-il de la publicité ? Comment s’équilibre-t-elle avec le rédactionnel ?
Louis Orlianges, GQ – Plus d’un tiers des marques citées dans GQ n’est absolument pas annonceur, ce qui n’est pas mal. Pour certains titres, vous avez quasiment 100% de marques citées dans le magazine qui sont annonceurs. Il y a donc de la place, y compris pour les petites marques italiennes que vous aimez et que j’aime aussi. Moi, ce qui me surprend toujours, c’est de les voir, ces petites marques italiennes, sublimes, formidables, annoncer dans le GQ anglais. Alors, bien sûr, ça ne me surprend pas, pour les raisons que je viens précisément d’énoncer : si elles ont une boutique en Europe hors d’Italie, c’est forcément à Londres, ou en tout cas elles sont distribuées en Grande-Bretagne, mais on sait pourquoi, il y a une culture du bespoke en Grande-Bretagne qui est quand même supérieure à ce qui existe à Paris. Le marché français reste un peu le parent pauvre, même comparé au marché allemand.
Milanese Special Selection – La vente en ligne pourrait venir changer la donne dans les années à venir.
Louis Orlianges, GQ – Certainement. C’est même le meilleur moyen pour les petites marques de contrôler et leur image, et leur politique commerciale. De notre côté, on ne fait pas encore de e-commerce à partir du magazine, mais nous y travaillons activement. La boutique en ligne est l’aboutissement logique de notre travail rédactionnel. Les lecteurs lisent GQ en version papier, mais aussi sur tablette ou sur smartphone. Nous présentons des looks, nous présentons des produits, il faut que le lecteur puisse les acheter immédiatement ; c’est la raison pour laquelle nous sommes en train de mettre en place une plateforme qui permette d’acheter la sélection faite par la rédaction, en collaboration avec les marques. C’est le grand projet international de Condé Nast pour 2015-2016, et je pense que ça va être fondamental pour les marques, qui vont pouvoir constater en temps réel l’impact du magazine.
Milanese Special Selection – Plus de déperdition d’information. Jusqu’à présent, les lecteurs pouvaient se rendre en boutique avec la page du magazine, la photographie du modèle qui les intéressait…
Louis Orlianges, GQ – Demain, ils pourront toujours se rendre en boutique et profiter de l’expérience d’achat que leur offrent les grandes structures, mais ils pourront aussi commander en quelques clics et revenir ensuite à la lecture du magazine.
Merci à Louis Orlianges d’avoir accepté de se prêter au jeu des questions avec le franc-parler qui est le sien.
L'article Louis Orlianges : rencontre avec l’éditeur de GQ a été publié sur le site MILANESE SPECIAL SELECTION par Laurent Le Cam.