Pour accompagner leurs ventes de bien de consommation, les enseignes proposent ainsi des gammes de produits bancaires variés, parfois innovants, allant de la simple carte de crédit du magasin à des gammes complètes de services.
Par leurs tarifs souvent agressifs et leur proximité avec leurs clients réguliers, ces enseignes disposent d’atouts non négligeables et s’inscrivent de fait dans une concurrence mesurée avec une partie des offres bancaires ou assurantielles des réseaux traditionnels. Derrière ces enseignes résident des acteurs financiers spécialisés, souvent peu cités. Ces derniers font néanmoins partie intégrante du paysage bancaire français et forment un écosystème complexe, disposant de ses propres enjeux et contraintes.
UNE FOURMILIERE D’ACTEURS‌ DANS LE GIRON DES BANQUES UNIVERSELLES
La catégorie la plus visible dans ce domaine est certainement celle des filiales bancaires de la grande distribution alimentaire : Carrefour Banque, Banque Casino, Banque Accord (Auchan), Banque Edel (E.Leclerc), Banque Chabrières (Intermarché), Banque Révillon (Cora). Fondées majoritairement au début des années 1980, leur évolution a été intimement liée à l’essor de la carte bancaire. Il s’agissait d’une part de fournir des solutions d’encaissement monétique aux magasins et d’autre part d’équiper les clients avec des cartes de l’enseigne. L’objectif était notamment d’y inclure des solutions de financement des ventes et des programmes de fidélisation, mais également de limiter les commissions d’interchange relatives aux paiements par carte, en assurant à la fois les fonctions d’émission et d’acquisition.
Sur le long terme, l’offre s’est étoffée, les acteurs les plus actifs proposant des produits d’épargne (livret, OPCVM, assurance-vie), d’assurance (dommage, santé, animaux, scolaire), ou encore de rachat de crédit. D’ailleurs certains disposent aujourd’hui d’une offre en propre, proposée au-delà des frontières des enseignes, notamment via les canaux Internet et téléphone (Carrefour Banque, Banque Accord et Banque Casino). A noter que toutes les filiales de la distribution alimentaire disposent d’un agrément de Banque auprès de l’ACPR et ne sont à ce titre pas limitées dans leur périmètre d’activité.
Viennent ensuite les structures mono-enseigne spécialisées dans les activités de financement. Il s’agit notamment de Créalfi (Castorama), Ménafinance (Darty), Alsolia (Décathlon), Fidem (But), Norrsken (Ikéa) ou encore Facet (Conforama). La plupart proposent une activité très ciblée sur le financement des ventes et l’émission de cartes privatives. Enfin on peut citer les généralistes du crédit à la consommation, qui sont représentés sur ce marché en proposant leurs services en marque blanche à des enseignes ne disposant pas en propre d’un établissement spécialisé. C’est notamment le cas de Franfinance (Aubert, Camif, Hygena), Cetelem (Fly, Rue du Commerce) ou Sofinco (Fnac, Printemps, La Redoute).
A l’exception de Banque Accord, on note une très forte imbrication avec les acteurs traditionnels de la banque universelle pour ces trois catégories d’acteurs, par le biais de leur actionnariat. Ces liens sont renforcés dans certains cas par des partenariats (Sofinco fournit des services aux Banques de Cora et d’Intermarché). Dès lors, la concurrence s’exerce dans un cadre mesuré et subtil, l’agressivité des offres visant davantage à démarquer les enseignes de distribution entre-elles et les banques universelles entre-elles qu’à conquérir des clients en provenance des réseaux traditionnels. Preuve en est, à ce jour, aucune entité ne propose de compte courant, ni de prêt immobilier.
Dans tous les cas, ces dispositifs offrent l’avantage d’une mutualisation de moyens entre d’une part les réseaux d’enseignes, qui amènent un vivier de clientèle, des forces de vente et une surface commerciale, et d’autres part les groupes bancaires, qui disposent des outils bancaires (systèmes d’information, processus, gestion des risques) et des accès aux instances de Place (chambre de compensation, systèmes de cartes, refinancement) nécessaires à l’activité.
UN ENVIRONNEMENT EXIGEANT, COMPLEXIFIE PAR LA NOUVELLE DONNE PRUDENTIELLE
La forte assise des offres de crédit à la consommation dans l’activité des filiales financières des distributeurs les exposent aux turbulences d’un secteur sous pression réglementaire et économique.
Les lois Lagarde (1er juillet 2010), Bancaire (loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013) et Hamon (17 mars 2014) pèsent sur l’activité de financement. Tour d’horizon des principales mesures législatives de protection des consommateurs : obligation de proposition d’une offre de prêt personnel en alternative au crédit renouvelable pour toute demande de crédit d’un montant supérieur à 1 000 euros, encadrement de la publicité, révision des taux d’usure, accélération des procédures de surendettement, libre choix de l’assurance emprunteur, assouplissement des conditions de résiliation des contrats d’assurance, création de l’action de groupe en droit français, etc.
Naturellement exposées au contexte économique, du fait de la procyclicité des activités de distribution (corrélées à l’évolution du pouvoir d’achat et à la solvabilité des ménages), les acteurs des financements spécialisés de la grande distribution doivent également intégrer le renforcement des exigences prudentielles. En effet au-delà des contraintes de solvabilité, le règlement européen CRR transposant les accords de Bâle III prévoit la mise en Ĺ“uvre de nouveaux ratios de liquidité et de levier entre 2015 et 2018. En particulier le NSFR, qui entrera en application au 1er janvier 2018, cantonnera davantage l’utilisation de ressources à long terme au financement des actifs de maturité supérieure à 1 an, incitant ainsi à la révision des modèles de refinancement et au renforcement de l’autofinancement. Dans ce contexte la collecte de dépôts, les émissions obligataires et la titrisation se développent (cf. émission obligataire Carrefour Banque en 2012 et 2013). A noter que la création du nouveau statut de société de financement offre un nouveau cadre réglementaire permettant d’assouplir ces contraintes (cf. encadré).
[Encadré] Sociétés de Financement
Créé par l’ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013, le statut de « Société de Financement » procède d’une volonté d’alignement de la réglementation Française avec la définition européenne plus restrictive d’Etablissement de crédit (critère cumulatif d’octroi de crédit et de collecte de fonds remboursables du public du CRR entré en application le 1er janvier 2014).
Une période « d’opt-out » permettant aux sociétés financières d’évoluer vers ce nouveau statut selon des modalités simplifiées a été ouverte par le régulateur du 1er octobre 2013 au 30 septembre 2014 (choix opéré notamment par les sociétés Créalfi, Menafinance, Alsolia et, Norrsken).
Les sociétés de financement, si elles sont soumises aux exigences prudentielles applicables aux critères de solvabilité, sont en revanche exemptées des exigences de liquidité (LCR/NSFR) et du ratio de levier Bâle III. La définition des fonds propres est également légèrement amendée et seule une partie des normes techniques de l’EBA leur est applicable. Elles bénéficient toutefois d’un traitement analogue aux établissements de crédit du point de vue de la pondération de leurs expositions et de l’éligibilité de leurs garanties afin d’éviter toute distorsion de concurrence entre les sociétés de financement et les établissements de crédit spécialisés.
En contrepartie, à l’exception des sociétés de financement filiales à plus de 90% d’un établissement de crédit, les sociétés de financement perdent le bénéfice du passeport européen permettant le libre exercice dans un pays membre de l’UE. Les sociétés de financement n’ont pas accès en propre au refinancement de la BCE ni aux systèmes de paiements (CORE, Target 2, etc‌)
Enfin, les sociétés de financement ne pourront pas collecter de fonds remboursables du public et devront également disposer d’un agrément d’établissement de paiements pour poursuivre leurs services de paiement.
INNOVATION ET DIVERSIFICATION EN REPONSE AUX MUTATIONS DU SECTEUR
Dans ce contexte économique et réglementaire complexe, les acteurs des financements spécialisés de la grande distribution ont de nombreux atouts à faire valoir pour poursuivre leur développement et dégager de nouveaux relais de croissance. Par le passé, le secteur a déjà mis en exergue sa résilience dans un marché baissier. A titre d’illustration, entre 2010 et 2013, la production de crédits Banque Accord a progressé de plus de 20%, de 1,8 Mds à 2,2 Mds â‚Ź quand la production moyenne de crédits à la consommation des sociétés financières se contractait de 11%[1].
Profitant d’une base de clientèle établie, d’un maillage national et d’une relation de proximité assurée par les réseaux de grande distribution (ex : Banque Casino bénéficie d’un réseau financier de 27 agences et une centaine d’espaces financiers), les acteurs des financements spécialisés étoffent leur portefeuille d’activités avec un double enjeu d’indépendance vis-à-vis des activités de financement et de développement. Certains acteurs sont déjà très avancés dans cette stratégie de diversification. En particulier Carrefour Banque dont la part des financements spécialisés dans le PNB est minoritaire depuis plusieurs années (à fin 2013, le groupe comptait 565 Mâ‚Ź d’encours sur livret et 1,7 Mdsâ‚Ź d’encours d’épargne sous gestion).
Historiquement menée par les offres d’assurance paiement, de carte bancaire et d’épargne financière, la diversification se poursuit sur l’assurance IARD (auto, habitation etc.), l’épargne bilancielle, en allant jusqu’à des offres « exotiques » dans l’univers financier. Ainsi, Banque Accord développe la solution e-Commerce de lutte contre la fraude Sell Secure, Banque Casino met à profit son expérience C-Discount en proposant également une offre de services e-Commerce et Cofidis a lancé une offre de téléphonie mobile fin 2011. Autre fait marquant, Norrsken (Ikea) propose une offre de financement automobile, bien loin du métier traditionnel de l’enseigne Suédoise.
L’innovation est partie intégrante de la stratégie de développement. Bénéficiant du soutien de leur actionnariat bancaire et de l’agilité de leurs organisations (environ 2 000 salariés pour les plus grosses structures), les initiatives permettent de dynamiser l’offre et de stimuler l’efficacité opérationnelle : signature électronique déployée par Banque Accord dans les magasins Leroy-Merlin, Boulanger et Alinea, applications mobile avec services de consultation de compte et simulation de financement (Cofidis, Banque Casino, Banque Carrefour, etc.), assurance (assurance scolaire Carrefour Banque, Assurance Risques numériques Banque Casino), fidélisation (cash back universel 1% Banque casino) etc. Enfin le développement de solutions de paiement innovantes est très présent. Banque Accord notamment investit très largement ce champs d’application avec les offres Flash N’Pay (dématérialisation carte et fidélisation), Automatric (paiement par reconnaissance de la plaque d’immatriculation) ou encore le déploiement pilote du paiement biométrique Natural Security.
ENTRE STRATEGIES D’ENSEIGNES ET STRATEGIES BANCAIRES
Dans ce contexte agité, la définition des priorités stratégiques est au cĹ“ur des préoccupations des établissements.
D’une part la consolidation des positions acquises, il s’agit à iso-périmètre d’activité de gagner en efficacité commerciale tout en tenant compte de la contrainte réglementaire ; un exercice d’équilibriste si l’on considère qu’une partie des forces de ventes sont salariées de l’enseigne et non de la banque, ce qui vient complexifier la formation, l’animation commerciale et le pilotage de la performance.
D’autre part l’expansion de l’activité, le choix d’un développement orienté « enseigne » ou orienté « banque » est fondateur. Le développement orienté « enseigne » portera ses efforts sur une présence maximale en magasin (tous les hypermarchés ne sont pas dotés d’une agence ou ne proposent pas tous les services), une couverture de toutes les enseignes au sein des groupes distributeurs (sur le hard discount notamment) ou un accompagnement renforcé à l’international (bien que moins attractif après un grand dynamisme au cours des années 2000, notamment à l’Est). Le développement orienté « banque » priorisera quant à lui l’existence de l’établissement en dehors des frontières de l’enseigne, en son nom propre. Dans ce cas, les investissements seront notamment concentrés sur les canaux de distribution hors magasin (tous les produits ne sont pas encore dotés d’une souscription 100% en ligne), sur un marketing dédié, voire sur la complétude de la gamme de produit pour se positionner comme banque principale du client.
En Grande-Bretagne, Tesco Bank, filiale à 100% du Groupe Tesco (2e distributeur mondial), a franchi un pas important en lançant ses prêts immobiliers en 2012 et ses comptes courant en 2014. Même si la Banque de détail est plus concurrentielle outre-manche, les acteurs indépendants les plus avancés pourraient ouvrir la brèche en France pour compléter leur offre déjà étendue. Si, pour les autres, l’actionnariat bancaire limite à ce jour les initiatives, n’oublions pas à titre de comparaison que les pure player de la banque en ligne (Boursorama, Monabanq, Fortuneo), également dans le giron des grandes banques de réseau, ont développé avec succès une offre de comptes courants.
Retrouvez le lien vers l’article publié dans Revue Banque ici.
[1] : Source : Association française des Sociétés Financières
Tags :