Sur fond de crise ukrainienne, politiciens influents et chefs militaires exigent un réarmement en grand de l’Allemagne.
Dimanche 8 février, le président de l’Association de la Bundeswehr (armée allemande), André Wüstner, présent à la Conférence de Munich sur la sécurité il y a deux semaines, y a déclaré: « Qui veut la paix, doit être prêt à la guerre. » Il a dit qu’il avait exactement le même point de vue que le gouvernement allemand, à savoir que le conflit en Ukraine ne pouvait être résolu sur le plan militaire, mais que l’armée allemande devait se préparer à une situation de ‘crise extrême’[de guerre].
L’année dernière a montré « à quelle vitesse les risques pouvaient devenir des dangers, » a dit Wüstner. La situation en Ukraine, en Syrie et en Irak était catastrophique, a-t-il dit. « Pour nous, cela signifie réclamer qu’on équipe totalement la Bundeswehr – les limites numériques prévues sous la précédente législature doivent être abolies! Ceci va des systèmes d’armement jusqu’à l’équipement individuel de chaque soldat. »
« Pour obtenir la capacité opérationnelle optimale de la Bundeswehr, » a-t-il ajouté, « nous devons progressivement augmenter, au cours des prochaines années, le budget de la défense. Autrement, nous risquons de perdre la confiance de nos alliés, que nous venons tout juste de retrouver. »
Wüstner a fait référence aux « défis mondiaux » et au rôle que l’Allemagne jouait au sein de l’OTAN. L’Allemagne avait « l’obligation de repayer sa dette » à l’égard de l’armée et de l’OTAN.
Le lieutenant-colonel s’est plaint de ce que « Depuis 1990, le budget a été restructuré afin de faire des économies aux dépens de l’armée, » et a dit: « Il est temps d’y mettre fin – il faut à nouveau des garanties de financement crédibles pour la dissuasion et la sécurité. »
Le Rapport militaire discuté au parlement (Bundestag) cette année élève des exigences semblables et se lit comme un projet directeur pour le réarmement. Dans l’avant-propos, le chargé des affaires militaires au parlement allemand, Hellmut Königshaus (FDP) décrit l’année 2014 comme « une année de vérité » pour l’armée. Celle-ci était certes reconstruite en tant qu’armée capable d’intervenir dans le monde entier mais elle était « poussée aux limites de ses capacités. »
La première partie du rapport donne l’image d’une armée allemande qui n’a, malgré ce qu’on en exige, pour tout attirail qu’un tas de ferraille bon pour la réforme, chroniquement sous-financé et nécessitant d’urgence un renforcement massif de ses moyens financiers.
Il existerait des problèmes d’effectif dans presque toutes les unités: l’unité de missiles anti-aériens basée en territoire turc, les navires d’attaque rapide, la flotte sous-marine, la flotte aérienne tactique, l’aéronavale et les transmissions.
En matière d’équipement militaire lourd, le rapport constate l’existence de « carences et de déficits ». Il mentionne entre autres, l’Eurofighter, l’hélicoptère NH90, l’avion de transport Transall et les systèmes de dragueur de mines de la marine. Il manquerait des blindés pour le transport de troupes et les casernes sont délabrées. Les pièces de rechange pour l’équipement militaire et les munitions appropriées font également défaut. De plus, le principal fusil utilisé par l’armée, le modèle G36, manque de précision.
Tant Wüstner que le Rapport militaire exigent ce que le gouvernement allemand et l’OTAN réclament depuis longtemps mais qu’ils n’avaient que prudemment formulé jusque là en raison d’une large opposition populaire.
La ministre de la Défense, Ursula von der Leyen (Union chrétienne-démocrate, CDU) a dit dans son discours d’ouverture à la Conférence de Munich sur la sécurité que l’Allemagne travaillait « d’arrache-pied pour que l’armement et l’équipement de l’armée remplissent les conditions nous permettant de remplir notre rôle de partenaires à long terme de l’alliance. » L’OTAN voulait que ceci se produise sur le champ.
L’alliance militaire a depuis longtemps demandé à ses membres d’augmenter leurs budgets militaires à au moins deux pour cent du produit intérieur brut. Dernièrement, le nouveau secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, avait insisté pour que l’Allemagne montre le bon exemple.
Lors de sa première visite à Berlin en janvier, Stoltenberg avait insisté auprès de la chancelière Angela Merkel, du ministre des Affaires Etrangères, Frank-Walter Steinmeier, et de la ministre de la Défense von der Leyen sur une augmentation des dépenses militaires. Il avait aussi fait part de ses projets aux commissions parlementaires pour la Défense et les Affaires étrangères.
L’Allemagne était un « pays clé » sur le continent et elle avait un rôle dirigeant à jouer avait dit alors Stoltenberg. Avec son armée, elle devait donc montrer le bon exemple aux autres pays de l’OTAN. La situation dans le domaine de la sécurité évoluait « et nous devons nous adapter à ce changement, » avait dit le secrétaire général de l’OTAN.
Tout comme Wüstner et von der Leyen, Stoltenberg a directement lié ses projets d’armement à la Russie et à son « cours de la confrontation ». L’OTAN devait renforcer son arsenal car ce n’était qu’à partir d’une « position de force » qu’un dialogue était possible avec Moscou.
La raison la plus importante cependant des appels au réarmement n’est pas l’insistance de l’OTAN mais la fin de la retenue allemande en matière de politique étrangère et de sécurité annoncée il y a un an par le président Gauck et le gouvernement allemand. Pour pouvoir intervenir au niveau mondial pour la sauvegarde des intérêts économiques, géopolitiques et sécuritaires allemands, l’Allemagne a besoin d’une armée équipée et organisée en conséquence.
Les plaintes élevées dans le Rapport militaire au sujet du mauvais état de l’armée ont leur parallèle dans l’histoire. En 1933, le ministre de l’armée du Reich, Werner von Blomberg, avait préparé un mémorandum dans lequel il qualifiait l’état de l’armée allemande de « sans espoir ». A l’image de l’actuel Rapport militaire, le mémorandum de Blomberg se plaignait du manque d’effectifs, d’équipements et d’armements. La marine du Reich n’avait même pas à sa disposition le matériel prévu par le traité de Versailles. Les cuirassés n’étaient pas livrés et l’armée de l’air était quasi inexistante y lisait-on.
L’évolution dramatique qui suivit est bien connue. A la fin de cette même année, le régime nazi engagea un réarmement puissant de son armée. En un court laps de temps, l’industrie allemande de l’armement, qui avait rétréci de façon spectaculaire en vertu du traité de Versailles, devenait une gigantesque force de combat qui, en 1939, débuta la Seconde Guerre mondiale, transforma en champ de ruines une grande partie de l’Europe et mena contre l’Union soviétique une brutale guerre d’anéantissement.
Denis Krassnin et Johannes Stern
Source : Mondialisation.ca