Qu’est-ce qu’un paysage ?
Dans son essai sur "L'invention du paysage", la philosophe Anne Cauquelin explique que l'idée de paysage et sa perception sont liées à la représentation qu'en donne la peinture occidentale à la Renaissance, une invention historique datée qui tient lieu de fondation pour la réalité sensible. Pour autant, nous ne sommes pas conscients des artifices de notre perception. Le paysage n’existe pas, il n’est qu’une hypothèse. Une fois prise en compte, cette notion renvoie à toutes les tentatives formulées par les peintres. Depuis la Renaissance, les modes d'évocation de ce qu'il est convenu d'appeler paysage n'ont cessé d'évoluer pour tenter d'appréhender cette entité incertaine. Plus près de nous, les peintres du Paysagisme abstrait s'étaient éloignés de la figuration pour nous suggérer une approche plus sensorielle de cette notion fuyante. Les Nuagistes poussèrent à leur tour davantage cette exploration, en privilégiant la fluidité du geste.
Aujourd'hui c'est encore une autre forme d'expérience qui est mise en œuvre par François Fries à la galerie Laure Roynette à Paris.
François Fries, Paysages glissants, 2014 Acrylique sur toile — 114 × 93 cm
Cet artiste Janus a mené de front deux activités: au début des années quatre-vingt, alors qu'il termine ses études de philosophie, d’histoire de l’art et d’économie, il s’essaie à la peinture. Pourtant, c'est vers le cinéma qu'il se dirige. Et si cette voie le fait collaborer avec une grande maison de production avant de créer la sienne, il partage par ailleurs avec quelques amis peintres un atelier au Kremlin-Bicêtre à Paris et expose régulièrement dans le cadre de salons et d’expositions collectives. En 1998, il publie même un opuscule au titre révélateur : « De la pratique clandestine de la peinture en milieu salarié ». Si bien qu'au début des années 2000, il décide de se consacrer exclusivement à la peinture.
Que vois-tu du Mont Fuji ?, 2014, acrylique sur toile, 146 x 114 cm
"Que vois-tu du mont Fuji ?
Sous le titre "Que vois-tu du mont Fuji ?", le peintre met en œuvre de nouvelles propositions pour se confronter à cette idée de paysage dont on a vu combien elle pouvait être discutée.
Au point que la préoccupation du peintre l'entraine vers une quête de l'essentiel :"J’aimerais revenir à cette "essentialisation" du paysage, à cette manière de n'en retenir que son essence, sa synthèse...(...) J’ai alors vu un paysage glissant à toute vitesse à travers la fenêtre d’un TGV. Un paysage express que le regard ne pouvait qu’effleurer. "
Dans les années soixante, les artistes du Cinétisme et du Lumino-cinétisme avaient déjà vécu cette expérience. Henri-Georges Clouzot dans son film "La Prisonnière" en témoigne avec une séquence filmée prise à bord d'un train lancé à pleine vitesse. Il n'est pas vraiment surprenant de voir François Fries mettre en parallèle son expérience de cinéaste avec sa pratique de peintre. Mais justement à la différence des artistes cinétiques, lui veut s'en tenir à la peinture. Et son tableau apparaît comme un plan-séquence à la manière de cette caméra qui ne lui accordait qu'un temps limité de prise de vues. Le paysage, dans cette formulation, serait alors comparable à une sorte de rémanence que le peintre tente de nous restituer, persistance de cette perception fugitive fixée sur la toile à la manière des chrono-photographies d' Etienne-Jules Marey. Mais si Marey s'employait à enregistrer sur un support la décomposition d'un mouvement, François Fries s'attache lui à traduire sur la toile le temps mémorisé d'une relation au monde extérieur. Le tableau n'est pas le cadrage d'un réel, il est le "moment" d'une réalité éprouvée. Le paysage, au lieu de se prêter à une représentation, devient, en effet, avec cette peinture, le sujet d'une nouvelle hypothèse.
Photos: Galerie Laure Roynette
François Fries
Que vois-tu du Mont Fuji ?
Galerie Laure Roynette
5 février - 31 mars 2015
20 rue de Thorigny
75003 Paris