d'après LA BARONNE de Maupassant
Un grand antiquaire, m’avait montré
Il y a quelques mois
Un Christ Renaissance de toute beauté.
Comme je lui demandai s’il avait trouvé
Un acquéreur, il m’a raconté ceci :
-« Vous connaissez la baronne de Samory ? »
-« Oui et non. Mais je sais ce que c’est !
La soi-disant baronne de Samory
Est une mondaine. Elle a une fille
Sans qu’on n’ait jamais connu son mari.
Elle a des amants, par cent, par mille
Et espère que sa fille fera
Un brillant mariage. Est-ce cela ? »
-« Oui, mais permettez-moi de compléter :
Elle se faisait entretenir depuis deux ans
Par un marquis qu’elle aimait.
Or, début juillet,
Elle est venue me demander 30 000 francs.
J’ai refusé de les lui prêter
Mais une idée me traversa l’esprit.
Et je lui dis : -’’ Chère amie,
Vous voyez ce Christ ? Je vais vous le faire livrer.
Vous inventerez ce que vous voudrez
Pour expliquer votre désir de vous défaire
De ce souvenir hérité de votre père.
Je vous enverrai des amateurs
Et des collectionneurs.
Ce Christ vaut cinquante mille francs.
Je vous le laisse à trente mille francs.
La différence sera pour vous. »
-« Je vous remercie beaucoup. »
Le lendemain, mon Christ lui était porté
Et le soir même, je lui envoyais
Le comte de Saint-Aignan.
Durant trois mois, je lui adressai des clients ;
Et je n’ai plus entendu parler d’elle.
Peu avant Noël,
Je reçus la visite d’un étranger.
Je me décidai à le présenter
À la baronne… pour voir.
Un valet de pied en frac noir
Nous fit entrer dans son salon. Elle apparut.
Je lui ai dit pourquoi nous étions là.
Elle sonna.
Le valet reparut.
Elle lui dit : -« Voyez si Mlle Isabelle
Peut accueillir ces messieurs dans sa chapelle. »
La jeune fille nous a menés
Dans une sorte de boudoir.
Mon Christ était couché
Sur un drap de velours noir,
Isabelle se signa
Puis nous dit : -« Est-il beau, n’est-ce pas ?
On en demande cinquante mille francs. »
L’étranger renonça en s’excusant.
Fin janvier, la baronne de Samory
Entrait dans mon magasin.
Elle mit un portefeuille dans mes mains.
Il contenait trente mille francs.