J'ai assisté à la lecture que Dominique Blanc a faite des Années d'Annie Ernaux devant un parterre très dense.
Une table caractéristique des lectures que l'on fait au théâtre, une bougie, une carafe, un verre d'eau, une chaise bistrot, un rideau de velours noir. Autant dire aucun décor.
Et pourtant ce fut un début de soirée magique. Parce que c'était elle, Dominique, qui connait intimement ce livre qu'elle a choisi parce qu'il l’accompagne sur les tournées et les tournages depuis quelques années déjà. Elle affirme ne jamais s’en séparer : J’aime l’écriture d’Annie Ernaux. C’est une écriture exigeante. C’est une exploration totale de l’être tout entier. "Les Années" est une autobiographie romanesque qui a l’élégance de ne jamais dire "moi" ou "je". C’est notre mémoire collective à tous.
Tout ce qu'Annie Ernaux a écrit évoque des souvenirs que nous avons en commun et qui sont entrés désormais dans l'histoire. Son art est d'entremailler le texte de moments appartenant à l'histoire avec un grand H et à celle, plus modeste, de la plupart des familles françaises.
En faisant constamment le grand écart (subtilement réussi) entre la posture des personnes dites "âgées" qui ne parlaient pas de ce qu'on savait mais qu'on n'avait pas vu et celle, plus récente, de l'auteur qui souligne qu'il est urgent de sauver quelque chose du temps où on ne sera plus jamais.
C'est nostalgique, mais formidablement maîtrisé, et cela fait du bien de réaliser l'ampleur de notre mémoire collective.
A partir du 17 février et jusqu'au 1er mars, ce sera Jean-François Balmer qui lira "Un Candide à sa fenêtre" de Régis Debray. Ensuite dès le 3 mars, et jusqu'au 15, Samy Frey ouvrira les " Entretiens avec Jean-Paul Sartre (août-septembre 1974)" de Simone De Beauvoir.
Son intention est de l’emmener avec lui en mer "pour qu’elle se repose". Elle sort de l'hôpital et a déjà beaucoup vécu pour ses 20 ans: l'esclavage à la ferme, la prostitution depuis deux ans. Elle arrive, comme surgie de nulle part, tout comme le marin Burke repêché en mer. Cet homme est fasciné dès le premier regard et désire l’épouser. Anna, entravée par son passé de prostituée, va revendiquer face à ces deux hommes son autonomie et sa liberté.
La pièce âpre d'Eugene O'Neill (mort en 1953, prix Nobel de littérature en 1936) se déroule dans "des brouillards portuaires, des mers agitées, des bars où les alcooliques côtoient les prostituées", décrit le metteur en scène Jean-Louis Martinelli.
Le père de O'Neill était acteur. Eugène est devenu marin après quelques années dans un pensionnat catholique, puis un court passage à l’université de Princeton. Il connaît les affres de l’alcool, essaie de se suicider. Il est gravement atteint de tuberculose. C’est d'ailleurs dans un sanatorium du Connecticut qu’il entame, à l’âge de 24 ans, ce qu’il appelle sa renaissance en commençant à écrire des pièces de théâtre.
Celui qui est considéré comme le père du théâtre américain sait de quoi il parle en évoquant la mer et les ravages de l'alcool. Son théâtre est réaliste, mais derrière l’analyse sociale et psychologique des personnages, on découvre des personnages qui, comme lui, cherchent désespérément à donner un sens à leur existence.
Père et amoureux, Féodor Atkine et Stanley Weber, se livrent à un duel sans merci.
Il faut citer aussi Charlotte Maury-Sentier, crédible en tenancière du boui-boui.
Les décors sont très beaux, le brouillard dense. Les cintres demeurent constamment visibles. Si bien qu'on n'oublie jamais que nous sommes au théâtre.
Avec Mélanie Thierry, Stanley Weber, Féodor Atkine et Charlotte Maury-Sentier.Théâtre de l’Atelier1, place Charles Dullin75018 Paris