On venait de prévenir le maire
Que le garde-champêtre,
L'attendait au rez-de-chaussée
Avec deux prisonniers.
L'édile descendit
Et vit
Un couple de bourgeois d'âge mûr :
Lui, un gros à cheveux blancs, semblait accablé.
Elle, endimanchée, très ronde, frisée, regardait
D'un œil de défi le père Mazure,
L'agent de l'autorité
Qui venait de les arrêter.
Le maire lui a demandé :
-" Qu'est-ce que c'est ? "
-" J'accomplissais ma tournée
Quand j'ai constaté vers les dix heures,
Tapi dans un fourré
Ce couple en flagrant délit
De mauvaises mœurs. "
Le maire, surpris
Considéra les prisonniers.
L'homme comptait bien cinquante ans
Et la femme au moins quarante-cinq ans.
Il se mit à les interroger :
-" Votre nom ? "
-" Nicolas Balan. " -" Votre profession ? "
-" Mercier. "
-" Niez-vous ce qu'a dit l'agent de l'autorité ? "
-" Non, monsieur. "
-" Alors, vous avouez ? " -" Oui, monsieur. "
-" Où avez-vous rencontré cette femme ? "
-" C'est ma femme, monsieur. "
-" Votre femme ? "
-" Oui, monsieur. "
-" Vous ne vivez donc pas ensemble ?..."
-" Pardon, nous vivons ensemble ! "
-" Mais...alors...vous êtes fou,
Complètement fou
De venir vous faire pincer ici. "
Le mercier murmura :
-" C'est Marie
Qui a voulu ça !
Quand une femme a quelque chose dans la tête...
Vous savez...elle ne l'a pas ailleurs. "
-" Vous ne seriez pas ici, monsieur,
Si elle ne l'avait eu que dans la tête. "
Alors, sans embarras,
Marie Balan expliqua :
-" Autrefois, j'ai connu Nicolas dans ce pays.
Il tenait une mercerie ;
Moi, j'étais demoiselle...et cuisinière.
Je me rappelle de ça comme d'hier.
Le dimanche, je venais ici
Avec ma cousine et son fiancé.
Un jour, ils amenèrent un ami.
Cet ami, c'était M. Balan
Ici présent.
Il avait l'air timide et ça me plaisait.
Nous voilà arrivés au petit bois.
Les autres s'embrassèrent plusieurs fois
Et puis tout bas, ils ont parlé ;
Ils se sont levés
Et sont allés se cacher derrière un taillis.
Nous, on causait et puis Balan s'est enhardi.
Il voulut prendre des privautés.
Nicolas, est-ce pas vrai ?
Bref, un mois après, il m'épousa.
Les affaires de la mercerie n'allaient pas.
Songez qu'on a travaillé vingt ans
Pour arriver, hier seulement,
À nos premiers cent mille francs.
Pendent tout ce temps,
Je n'avais jamais pu aller
Dans les bois ni cueillir des baisers
Ni m'y faire aimer !''
Alors, pour fêter ça, j'ai proposé
À mon mari
Une partie de campagne, ici.
À notre arrivée,
Je me sentais toute retournée.
Je me suis mise à l'embrasser.
Et lui me répétait :
'' Mais tu es folle...
Mais tu es folle ! ''
Je l'ai poussé dans un fourré...
Et voilà !...J'ai dit toute la vérité. "
Le maire était un homme d'esprit.
Il se leva, sourit, et dit :
" Allez en paix,
Et ne péchez plus dans les fourrés ! "