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La proposition de loi Claeys-Leonetti pour une fin de vie "digne et apaisée"

Publié le 14 février 2015 par Sylvainrakotoarison

Soutenue par le gouvernement, la proposition de loi vise à autoriser dans certains cas "un traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie" y compris l’alimentation et l’hydratation artificielles. Des définitions qui font rudement débat…

Comme je l’avais évoqué ici, l’Assemblée Nationale a souhaité ouvrir sur son site Internet pour la première fois une consultation accessible à l’ensemble des citoyens pour commenter la proposition de loi n°2512 déposée par les députés Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (UMP) sur la fin de vie. J’invite tous les lecteurs à rédiger leur propre contribution, puisque le législateur propose de les écouter avant de commencer ses travaux en commission. La consultation sera terminée lundi 16 février 2015 à 12 heures, et les travaux en commission débuteront le lendemain.

Cette proposition de loi (dont le texte intégral est accessible ici) comporte onze articles et tend à garder l’esprit de consensus de la loi du 22 avril 2005 tout en précisant un certain nombre de définitions et à ouvrir de sérieux fronts de discussion.

Ce que dit la proposition de loi

Pour un sujet d’une telle importance, chaque mot compte.
J’en reproduis ici les principaux extraits :

Article 1er : « Toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour satisfaire ce droit. ».

Article 2 : « Les actes mentionnés à l’article L.1110-5 ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable lorsqu’ils apparaissent inutiles ou disproportionnés. Lorsque les traitements n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, sous réserve de la prise en compte de la volonté du patient et selon la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale, ils sont suspendus ou ne sont pas entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L.1110-10. La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement. ».

Article 3 : « À la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement sa vie, un traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie est mis en œuvre dans les cas suivants : lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire au traitement ; lorsque la décision du patient (…) d’arrêter un traitement, engage son pronostic vital à court terme. Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et dans le cadre du refus de l’obstination déraisonnable (…), dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, le médecin applique le traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès. ».

Article 4 : « Toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, prise en compte, évaluée et traitée. Le médecin met en place l’ensemble des traitements antalgiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie. Il doit en informer le malade (…), la personne de confiance (…), la famille, ou, à défaut, un des proches. ».

Article 5 : « Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas subir tout traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif. (…) Le professionnel de santé a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d’interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. ».

Article 8 : « Toute personne majeure et capable peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions du refus, de la limitation ou l’arrêt des traitements et actes médicaux. Elles sont révisables et révocables à tout moment. (…) Elles s’imposent au médecin, pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation. Si les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées, le médecin, pour se délier de l’obligation de les respecter, doit consulter au moins un confrère et motiver sa décision qui est inscrite dans le dossier médical. Un décret en Conseil d’État définit les conditions d’information des patients, de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées. Leur accès est facilité par une mention inscrite sur la carte vitale. ».

Article 9 : « Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance, qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée en cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Elle témoigne de l’expression de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage. Cette décision est faite par écrite. Elle est révocable à tout moment. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions. ».

Contribution personnelle

Voici par ailleurs ma contribution personnelle pour cette consultation.


Alimentation, hydratation, directives anticipées

Je ne suis pas convaincu de la nécessité d’une nouvelle loi sur la fin de vie dès lors que l’actuelle loi du 22 avril 2005 n’est pas encore assez connue ni assez appliquée. Il faudrait plutôt débloquer massivement des moyens budgétaires pour développer les soins palliatifs, notamment à domicile.

Néanmoins, je salue le gouvernement et les parlementaires de leur volonté sincère d’aborder ce débat très sensible dans un esprit d’écoute et de rassemblement, loin d’un cadre dogmatique soumis aux pressions des plus revendicatifs.

La dignité se mesure plus dans le regard que portent les bien-portants que dans la faiblesse et les incapacités des personnes en fin de vie dans la mesure où chaque être humain est porteur intrinsèquement de la dignité humaine. Je l’écris en ayant vécu la fin de trois êtres chers dont deux, par un sourire permanent, ont rayonné de leur amour de la vie pendant leurs derniers mois d’existence, malgré leurs graves incapacités.

Il y a d’autres mots qui peuvent blesser. Au nom de quels principes, ou de quels critères, le législateur serait-il compétent pour juger de l’utilité ou de l’inutilité d’un maintien en vie ? Jusqu’à quel point une vie est inutile ? En quoi les inactifs, malades, personnes handicapées seraient-ils utiles ou inutiles à la société ? Ces considérations me paraissent effrayantes.

La proposition de loi n°2512, qui répondrait à une supposée attente de "l’opinion publique", serait toutefois acceptable, à mon sens, à la condition de retirer deux dispositions qui m’ont beaucoup choqué et qui semblent choquer aussi un certain nombre de contributeurs sur ce site.

1. L’alimentation et l’hydratation artificielles ne peuvent pas être considérées comme un traitement, ce sont des soins élémentaires au même titre que l’hygiène pour maintenir la personne malade dans un minimum de confort. Les considérer comme un traitement, cela signifierait que la personne qui ne peut plus déglutir serait considérée comme sous traitement, et on pourrait parler ensuite d’obstination déraisonnable.

2. Il est pertinent d’encourager la rédaction de directives anticipées. Mais elles ne doivent être qu’un simple élément parmi d’autres à prendre en compte et elles ne devraient pas avoir le caractère contraignant que la proposition de loi voudrait imposer à l’équipe médicale. Elles ne sont pas paroles d’Évangile qu’on voudrait privilégier sur l’avis de ceux qui s’occupent de la personne en fin de vie au jour le jour. Surtout si les directives anticipées ont été rédigées quand la personne était bien-portante. La volonté des patients est très fluctuante et les changements de perspectives très fréquents.

Merci au gouvernement, s’il tient vraiment au consensus sur ce sujet qui touche à l’intime, de tenir compte de ces deux réserves et bravo pour cette consultation dont le principe me paraît prometteur de plus de démocratie.

Près de 8 000 contributions des citoyens

Comme près de huit mille citoyens (au moins 7 788 au 13 février 2015), n’hésitez pas à faire part de vos remarques, témoignages, commentaires auprès des parlementaires. Il ne vous reste plus que ce week-end pour le faire. C’est à ce lien.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 février 2015)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
La consultation participative du Palais-Bourbon.
La proposition de loi n°2512 (texte intégral).
Le débat sur la fin de vie à l'Assemblée Nationale du 21 janvier 2015.
Les directives anticipées.
L'impossible destin.
La proposition Massonneau.
Présentation du rapport Claeys-Leonetti (21 janvier 2015).
Le rapport Claeys-Leonetti du 12 décembre 2014 (à télécharger).
Vidéo de François Hollande du 12 décembre 2014.
Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie du 21 octobre 2014 (à télécharger).
Le verdict du Conseil d'État et les risques de dérives.
Le risque de la GPA.
La décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 (texte intégral de la déclaration de Jean-Marc Sauvé).
L'élimination des plus faibles ?
Vers le rétablissement de la peine de mort ?
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national d’éthique.
Le CCNE refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.
(Les deux tableaux en illustration sont de Salvador Dali).


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