Jean Béraud, L'absinthe
Certes, si le vieil an ne meurt, le nouveau ne peut naître. Mais avouez toutefois qu’il peut sembler étrange de se réjouir si bruyamment, à coups de pétards, de beuveries et de confettis, d’avoir un an de moins qui nous sépare de la mort, issue fatale et certaine de son bref passage sur terre. Pourquoi donc tirer tant de gloire d’avoir réussi à survivre un an de plus ? La mortalité infantile est depuis longtemps jugulée ; la peste, le choléra et les bombardements nous laissent en paix depuis de longues décennies : parvenir à voir l’an suivant ne constitue donc pas un exploit aussi impérissable que d’avoir réussi à se qualifier en trichant à la coupe du monde de la baballe au pied. Et puis, qu’y a-t-il de plus vide que le temps, cette entité purement abstraite, quantifiée du calendrier ? Si l’on ne peut célébrer que cette insignifiance-là, on n’ose imaginer la vacuité du reste de nos existences ! Mais c’est bien connu, plus on est creux, plus on fait de bruit : voyez les cloches (ou les pétarades des scooters dont on se demande parfois quelle boîte vide les casques protègent). Que certains se croient obligés de faire le plus de bruit possible pour se prouver qu’ils existent malgré l’inconsistance de leur for intérieur n’a donc rien d’étonnant. Et que dire des vœux, cette pratique qui consiste à se rappeler sur commande que ceux à qui l’on n’a rien à dire existent encore ? (Méchanceté gratuite et correction immédiate : fort précieux rituel qui permet de garder vivant un lien qu’il importe de ne pas rompre même si les années n’offrent pas d’occasions de rencontre.) Les résolutions, enfin : combien sont-elles, celles qui demeurent d’une année sur l’autre, désespérément inefficaces, avec la persistance d’une tache tenace sur une nappe trop blanche ? Mais l’espoir que l’an suivant sera plus doux que le précédent fait vivre. Nous vous la souhaitons bonne. Publié dans l'Hebdo du Vendredi le 18 décembre 2009