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Les robots, une menace pour l’emploi ou simple outil de travail ?

Publié le 13 février 2015 par Pnordey @latelier

Plus perfectionnés, plus autonomes, les robots s’immiscent peu à peu dans les usines, les entreprises, les hôpitaux. Mais leur implantation n’est pas sans incidence sur les tâches de leurs collègues humains.

Entretien dans le cadre de l’émission L’Atelier numérique, avec David Lemaitre, Président d’EOS Innovation, une entreprise spécialisée dans la robotique de service appliquée à la surveillance, Raja Chatila, directeur de L'ISIR, Institut des Systèmes Intelligents et de Robotiques et Bertin Nahum, fondateur de Medtech spécialisée dans la conception et la commercialisation des robots mobiles d’assistance chirurgicale.

L’Atelier : Les avancées technologiques actuelles favorisent la multiplication de la robotisation bien au-delà des usines et des chaînes de production. Les robots deviennent-ils incontournables ?

Raja Chatila : Les robots sont effectivement en train d’émerger dans plusieurs aspects de la vie quotidienne, de la vie professionnelle aussi, un peu comme l’a fait l’ordinateur personnel, le PC, au début des années 1980 avec une montée en puissance dans les années 1990 et après. Pourquoi ? Parce que d’une part, les technologies et la science ont permis des progrès assez considérables qui se sont cumulés ces dernières années. La vitesse de calcul des processeurs des ordinateurs qui sont quand même au centre de ces dispositifs, a permis aussi d’obtenir des systèmes suffisamment rapides pour agir vraiment en temps réel. N’oublions pas la miniaturisation des capteurs à un faible coût, popularisé à travers les téléphones mobiles, les caméras, etc. Autant de facteurs qui permettent aujourd'hui de réaliser des systèmes robotiques, c’est-à-dire mélangeant perception, décision et action à des degrés divers. Ces systèmes commencent ainsi à afficher une courbe quasi- exponentielle dans plusieurs domaines d’application.

L’Atelier : Parmi ces domaines d’application figurent la santé et la surveillance. EOS Innovation propose de placer des robots mobiles de surveillance dans les entrepôts. Quel est leur champ d’intervention? Remplacent-ils les agents de sécurité ?

David Lemaitre: Nos robots effectuent des rondes à l’intérieur de l’entrepôt, afin de situer et de vérifier s’il y a une intrusion ou un problème dans l’entrepôt : un produit déplacé par exemple. A terme, il s’agira également de détecter un point ou un corps chaud dans l’entrepôt afin d’alerter. Une fois que le robot a détecté quelque chose, il envoie l’information à un agent lequel récupère cette information. On a vraiment affaire à un couple agent-robot.

L’Atelier : L’agent n’est pas au même endroit que le robot ?

David Lemaitre : L’agent peut être sur l’ensemble du site mais pas dans l’entrepôt-même. L’agent peut être également déporté en télésurveillance, à l’autre bout de la France. Et donc, cet agent-là récupèrera l’information du robot : la vidéo filmée par le robot, la position du robot dans l’entrepôt et la position du problème au sein de l’entrepôt. Avec ces données-là, l’agent décide d’agir ou pas grâce au robot. Le robot n’agit pas de lui-même, il attend la décision de l’agent. Donc c'est pour ça que je parle bien d’un couple agent-robot.

L’Atelier : Il n’empêche que l’agent de sécurité n’intervient qu’une fois que le robot a fait son travail. Donc finalement, n’étant pas sur place, il y a un certain nombre de tâches qu’il n’effectue plus ?

David Lemaitre : Les tâches qu’il n’effectue sont des tâches fastidieuses, répétitives et souvent dangereuses aussi. Quand vous avez une intrusion dans l’entrepôt, il vaut mieux que ce soit le robot qui se retrouve face aux intrus plutôt qu’un agent qui risque d’être molesté ou pire au sein de l’entrepôt. Les agents ont tout à fait mesuré l’intérêt que présente l’utilisation des robots au sein de leur travail. Ils voient cela vraiment comme une évolution et comme une professionnalisation de leur métier de surveillant.

L’Atelier : C’est un peu pareil avec vos robots Rosa, Bertin Nahum. Vous les présentez comme des robots d’assistance à la chirurgie. Et donc, le mot même "assistance" veut bien dire qu’il décharge le chirurgien de certaines tâches et non pas les remplacer ?

Bertin Nahum : Derrière le mot "assistant", c'est une volonté de banaliser le terme de robot. Finalement, ce sont des outils intelligents qui apportent un regain de précision dans les opérations sensibles du cerveau et de la colonne vertébrale.

L’Atelier : Concrètement comment cela se passe-t-il ? Est-ce que, comme la cobotique, le robot est un outil qui va venir aider le chirurgien ?

Bertin Nahum : Ce sont des robots qui apportent un regain de précision dans des opérations dites mini-invasives. C'est une espèce de GPS qui va guider la main du chirurgien pour positionner des instruments en neurochirurgie crânienne, également en chirurgie de la colonne vertébrale au travers d’ouverture relativement limitée. Ce qui permet d’éviter des saignements, des douleurs postopératoires, et donc d’opérer avec des incisions les plus petites possibles.

L’Atelier : Raja Chatila, qu'est-ce que ces deux innovations vous inspirent ?

Raja Chatila : Ce qui vient d’être dit est l’illustration de l’apport de la robotique avec l’homme et non pas en remplacement de l’être humain. C'est une extension, un outil. Dans le cas du robot de surveillance, cela permet à l’agent de se focaliser sur leurs vraies actions, leurs vraies tâches. Pourquoi l’appelle-t-on « robot » ? Parce qu’il possède des capacités de perception et de contrôle qui vont le guider et qui ne peut faire sa tâche tout seul. Cela ne se comprend qu’avec la présence de l’homme.

L’Atelier : Vous êtes finalement tous les trois d'accord pour dire que les robots constituent dans ces cas-là, un outil de travail et non une menace pour l’emploi. Pourtant, cela a quand même des incidences sur les emplois dans la mesure où l’humain doit apprendre à travailler avec ces robots. Cela implique de la formation, un ajout de compétence. Comment cela se manifeste-t-il dans vos activités respectives?

David Lemaitre : Les agents de sécurité voient cela comme une professionnalisation de leur métier, qui leur permet aussi de se dire : " On n’est plus que de simple rondier à tourner en rond pendant des heures sans aucune valeur ajoutée." Là, ils voient vraiment leur valeur ajoutée. Et pour nos produits, la formation est extrêmement simple et extrêmement courte, puisqu’on a fait une interface de gestion du robot très simplifiée pour aller vite. Puisqu’on est dans la sécurité, il faut aller vite.

Bertin Nahum : Dans le domaine médical et chirurgical, l’avènement de la robotique n’est absolument pas à comparer à ce que la robotique a apporté dans le domaine industriel. L’intérêt de la robotique en chirurgie, ce n'est absolument pas de progresser et d’obtenir des gains de productivité au détriment effectivement d’une main d’œuvre. Comme on l’a dit précédemment, les robots ne remplacent personne dans notre cas. Ils sont uniquement là pour rendre un acte chirurgical plus précis, plus fiable, plus répétable. Et donc de permettre d’obtenir une qualité de soin beaucoup plus importante.

L’Atelier : Dans la conception même de vos robots, vous fixez-vous des limites quant à l'étendue des tâches possibles? 

Bertin Nahum : C'est dans l’essence même de l’utilisation de nos machines qui ne sont absolument pas autonomes. Comme je l’ai dit précédemment, nos robots sont des GPS pour chirurgien. Et donc, dans le cas d’un GPS, on n’essaie pas de démontrer qu’un GPS peut remplacer le conducteur. En aucun cas, il s’agit pour ce GPS de se substituer à l’intelligence, à la commande et à la volonté de l’opératoire ; en l’occurrence d’un chirurgien.

David Lemaitre : Je suis d’accord. C'est vraiment le robot qui amène une aide à la décision. Mais la décision finale, elle est donnée par l’agent de sécurité qui est derrière l’écran. C'est lui qui va décider d’intervenir avec le robot, d’engager la sirène, d’engager les moyens de dissuasion, etc.

L’Atelier : On voit vraiment la différence entre le milieu industriel  et le milieu des services, où  la complémentarité est plus évidente. Mais est-ce que à l’instar du téléphone, on peut imaginer ne plus pouvoir se passer demain de robots au point que ces derniers deviennent nos doubles? 

Raja Chatila : Peut-être pas notre double mais davantage notre prolongement. L’expérience prouve que quand de nouvelles machines de ce type-là, que ce soit l’ordinateur relié à Internet ou le téléphone portable etc. commencent à émerger, ils vont avoir des usages auxquels on ne pense absolument au départ. Et c'est une dynamique. De nouveaux usages se développent jusqu’à ce qu’ils deviennent indispensables. Cela dit, il ne faut pas se faire d’illusion. Cela va transformer certains métiers quand même. Cela transforme les techniques. Certains métiers vont devenir caducs, vont disparaître. Et ça, c'est aussi quelque chose d’historique. La mécanisation de l’agriculture fait qu’aujourd'hui l’agriculteur n’est pas derrière le socle de la charrue, mais sur un tracteur et peut faire beaucoup plus de choses. Du coup, évidemment, on pourra dire : « Il y a des métiers qui ont disparu donc il y a des emplois qui ont été détruits. » Mais en même temps, cela va créer beaucoup plus d’autres emplois et des emplois beaucoup plus intéressants.

A lire le portrait de David Heriban, un innovateur qui mise sur la micromanipulation pour l’industrie du futur


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