La résistible ascension du Front National? A voir…
Doubs. Souvent, la bravoure et l’audace vont de pair avec la peur. L’extralucidité qu’elle diffuse s’aiguise à travers l’imagination crépusculaire et offre la chance de paroles et d’actions qui sauvent. Il y a des jours, comme ça, où certains rendez-vous électoraux laissent un goût amer et une impression d’avant-vu. Prenez le scrutin législatif dans la 4e circonscription du Doubs, dimanche dernier: 51% d’abstentions, plus de 8% de votes blancs et nuls, et au final, moins de 3% d’écart entre les candidats du PS et du Front national. La gauche du second tour s’en est sortie, mais in extremis… Dans ce duel gauche-extrême droite, deux premières conclusions s’imposent et valent analyse. Primo: dans ce genre de circonstances, le parti de Fifille-la-voilà est à droite, très à droite, et à ce titre elle récupère une bonne partie du vote de la droite dite «classique», ce qui confirme, si besoin était, que l’essentiel du vote lepéniste de ces dernières années provient directement de cette droite traditionnelle et nicoléonienne qui a brûlé son âme à force de courir derrière les thématiques frontistes et identitaires.
Secundo: le parti néofascisant bénéficie de la situation de la gauche dite de «gouvernement» – dont les renoncements et le libéralisme économique assumé sont autant de raison de s’abstenir pour le peuple de gauche – et de l’absence de crédibilité de la gauche de transformation sociale. Dans le Doubs, l’esprit du 11 janvier et de l’après-Charlie a semble-t-il suffi à mobiliser sur l’essentiel. Mais cet esprit est-il encore assez puissant et partagé pour durer? Et peut-on pour autant parler de résistible ascension du parti lepéniste, quand tout nous laisse croire le contraire?
Péril. Tout optimisme naïf nous perdra. Non, la montée de l’extrême droite ne se nourrit pas seulement de l’inculture, de la haine de l’autre, du goût de l’ordre, de la baisse des valeurs démocratiques et d’une irascible volonté identitaire pensée, réfléchie et argumentée. Elle tient essentiellement à l’approfondissement de la crise économique et sociale, et à la détresse insondable qu’elle produit. L’histoire en cours, plutôt involutive, et le pessimisme anthropologique qu’elle dispense aux plus fragiles, n’induit qu’une logique nihiliste à l’aune d’une propagande idéologique de masse qui entend convaincre le plus grand nombre que les hommes sont mus exclusivement par l’intérêt égoïste et que la concurrence économique est le seul facteur possible du progrès matériel. Entendons-nous bien: ce sont bel et bien les ressorts essentiels de la motivation du vote Le Pen, qui capte tout et son contraire et paraît quelquefois, dans ses discours attrape-tout, plus à gauche que Macron et Valls réunis. À ce niveau d’irrationalité collective, les appels à la conscience républicaine ne parviendront pas, seuls, à repousser le péril préfasciste qui pointe à l’horizon si la gauche alternative ne parvient pas à incarner ce que Syriza a réussi à faire en Grèce. D’autant que pour la gauche populaire, l’écueil n’est pas mince de se tromper, non pas de diagnostic, mais de stratégie politique. La tentation – la pire des tentations – serait aujourd’hui de partir du postulat que le FN pose parfois de bonnes questions. Attention danger! Aller sur ce terrain antirépublicain est l’assurance de son triomphe dans les têtes. Sans la dénonciation acharnée et permanente des mensonges de Fifille-la-voilà, brider son évolution demeurera un vœu pieu. Rien pourtant dans ses propositions (laïcité, liberté, égalité, finance globalisé, État fort, etc.) et des mots biaisés qu’elle utilise pour les diffuser ne résiste à l’examen critique. Le combat de déconstruction ne fait que commencer; pour l’instant, il est loin d’être gagné.
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 13 février 2015.]