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Heureux les heureux [Yasmina Reza]

Publié le 13 février 2015 par Charlotte @ulostcontrol_
Hello,
Je n'aime pas trop faire coller mes lectures aux événements actuels ou au calendrier (bizarrement, j'ai du mal avec l'actualité, l'immédiateté) mais ayant lu Heureux les heureux récemment et la chronique étant prête, je me suis dit que c'était trop bête de ne pas profiter de la Saint Valentin pour vous parler d'un livre qui parle d'amour.

Heureux les heureux [Yasmina Reza]« J’ai commencé à éprouver un sentiment, je veux dire un vrai, à ce moment-là. En sortant de la voiture, à Wandermines, sous la pluie. On ne parle pas assez de l’influence des lieux sur l’affect. Certaines nostalgies remontent à la surface sans prévenir. Les êtres changent de nature, comme dans les contes. Au milieu de cette confrérie en habits du dimanche, se pressant vers la mairie pour échapper aux gouttes, tenant le bras d’Odile pour l’aider sur le parvis glissant, j’ai éprouvé la catastrophe du sentiment. »
Glissant de la mélancolie à l’humour, Yasmina Reza dessine avec Heureux les heureux une constellation moderne de personnages confrontés à l’impasse sentimentale.

Il n'y a pas d'histoire à proprement parler dans le livre de Yasmina Reza, ce sont plutôt des moments de vie que l'auteur nous propose des découvrir, des instants volés dans la vie d'hommes, de femmes, de couples. A chaque chapitre, Yasmina Reza nous présente un nouveau personnage et nous plonge dans un instant t de sa vie, souvent un événement banal du quotidien, et nous raconte ses péripéties, ses pensées, ses déceptions, ses aventures amoureuses.
« Il faudrait un jour étudier ce silence, spécifique à la voiture, à la nuit, quand vous rentrez après avoir affiché votre bien-être pour la galerie, mélange d'embrigadement et de mensonge à soi-même. Un silence qui ne supporte même pas la radio, car qui, dans cette guerre d'opposition muette, oserait la mettre ? » p.29
Yasmina Reza commence ainsi par nous raconter l’histoire de Robert Toscano, avant de continuer avec Marguerite Blot puis Odile Toscano. De fil en aiguille, le lecteur se rend compte que chaque nouveau personnage est relié à un personnage déjà cité de telle sorte qu’ils sont tous liés entre eux d’une manière ou d’une autre. Philip Chemla est ainsi le médecin de la mère de Vincent Zawada, etc... On prend alors beaucoup de plaisir à découvrir les liens entre tous ces personnages, à les créer, à les deviner parfois alors qu'eux-mêmes ne le soupçonnent pas. On prend conscience de l'étendue du champ des possibilités qu'il y a dans chaque nouveau chapitre, du pouvoir de création, d'interprétation, de choix du lecteur. Je n'ai jamais ressenti aussi distinctement les mots de Jacques Salomé : « Un livre a toujours deux auteurs : celui qui l'écrit et celui qui le lit. » (dans Si je m'écoutais, je m'entendrais).
Heureux les heureux [Yasmina Reza]
On n'a pas le temps de connaître tous ces personnages qui sont seulement esquissés. On ne les voit que comme des pantins, des éléments que l'auteur s'est amusée à positionner là où elle le voulait et qu'elle bouge lorsqu'elle le souhaite. Cette lecture m'a vraiment donné l'impression d'être en hauteur et d'observer ce qui se joue en dessous de moi, les liens qui se font et qui se défont ; comme lorsque l'on est en avion et que le monde en-dessous de nous nous paraît infiniment petit et étranger.
Et pourtant, ces personnages qui me semblaient au premier abord si différents et si éloignés de moi se sont avérés en réalité très proches de moi ; l'apparente distante qu'il y a entre eux et nous ne nous renvoie en effet que plus violemment notre propre image à la figure. De qui parle ici Yasmina Reza si ce n'est de nous, de nos amours, de nos indécisions ? Impossible de ne pas ressentir pleinement l'humanité des personnages qu'elle nous présente, de ne pas s'identifier à eux.
Si toutes ces histoires et tous ces personnages ne sont pas directement liés les uns aux autres, ce livre forme pourtant un tout harmonieux qui prend sens lorsqu'on le referme. En ce sens il fait ainsi beaucoup penser à Risibles amours de Milan Kundera !
« Un homme est un homme. Il n'y a pas d'homme marié, pas d'homme interdit. Ca n'existe pas tout ça (c'est ce que j'ai expliqué au docteur Lorrain quand on m'a internée). Quand on rencontre quelqu'un, on ne s'intéresse pas à son état civil. Ni à sa condition sentimentale. Les sentiments sont changeants et mortels. Comme toutes les choses sur terre. Les bêtes meurent. Les plantes. D'une année à l'autre, les cours d'eau ne sont pas les mêmes. Rien ne dure. Les gens veulent croire le contraire. Ils passent leur vie à recoller des morceaux et ils appellent ça mariage, fidélité ou je ne sais quoi. » p.106
La forme de l'écriture est assez particulière : les chapitres tiennent sur 3/4 pages et sont tout « en bloc », c'est-à-dire qu'il n'y a pas de paragraphe ni retour à la ligne (il y a des points). C'est un peu surprenant au début mais on prend vite le rythme ; d'autant plus que la brieveté des chapitres et la fluidité de la langue compensent largement ce côté « brut de décofrage » lié à la forme. De cette construction spécifique du roman nait ainsi beaucoup d'émotion ; Yasmina Reza a ici le pouvoir incroyable de donner à des événements banals une émotion incroyable. Chaque histoire est racontée à la première personne du singulier de telle sorte que chaque histoire nous donne l'impression d'être authentique et personnelle.
Heureux les heureux [Yasmina Reza]
En définitive, cette lecture était pour moi une très, très belle découverte. J'ai adoré l'écriture de Yasmina Reza, les personnages qu'elle a créés et animés, les histoires triviales ou tragiques qu'elle nous raconte. Malgré un premier abord assez brut et sans prétention, ce roman m'a en réalité beaucoup touchée. L'émotion qui s'en dégage est énorme et inattendue, elle surprend et n'est pas là où on l'attend. Je le conseille à ceux qui aiment les contemporains très contemporains, les livres bien faits et qui parlent d'amour de manière originale.
N'hésitez pas à me donner votre avis sur ce livre si vous l'avez lu, ou à me dire s'il vous tente. Quel est le dernier livre contemporain qui vous a plu ?

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