WATCH ART et tais toi

Nous vivons dans un monde où tout doit être constamment simplifié. Où chacun doit pouvoir faire le maximum de choses en un minimum de temps et d'effort. Il semblerait que l'art n'échappe pas à la règle. Ainsi, aller au musée, est pour moi (et sans doute pour beaucoup) un genre de rituel. Je prends plaisir à consacrer mon après-midi à visiter une exposition, à déambuler dans les allées, à contempler longuement une œuvre qui m'intéresse ou à passer plus furtivement devant une autre.

Mais avec Ikono Tv, plus besoin de se déplacer. L'art vient à vous, s'insérer dans votre quotidien (entendez par là, dans votre télévision). C'est en tout cas l'objectif d'Elizabeth Markevitch lorsqu'elle fonde en 2005 Ikono Tv. Basée à Berlin, cette chaîne de télévision gratuite (disponible en France sur le canal 150 pour les abonnés free) diffuse de courts films d'art sans interruption. Ils concernent des œuvres de toutes les époques de l'histoire de l'art et sont réalisés en collaboration avec plus de 400 artistes internationaux et les plus importants musées du monde. Point important : aucun son (ni commentaire, ni musique) n'est ajouté. La contemplation se fait donc dans le plus grand silence, sauf bien sur lorsque le son est intrinsèque à l’œuvre comme pour l'art vidéo par exemple. Cela dans un souci de toucher un public international sans imposer de barrière de langage.

J'ai donc profité d'un long week-end pour expérimenter la chose sur internet. Concrètement, à la manière d'un chatroulette artistique, les œuvres défilent de manière aléatoire sans que nous ne puissions rien faire, ni avancer, ni revoir un passage. Cette totale passivité imposée associée à cet ordre en gras sur fond orange « WATCH ART » autour de la fenêtre vidéo m'a plutôt déstabilisée et ennuyée. J'étais donc là, à fixer mon écran, assise sur ma chaise de bureau, à regarder la caméra survoler leeentement les détails de toutes sortes de tableaux, de Vermeer, Seurat, Delacroix, etc. Quand soudain, apparaissent les œuvres de Nabil Nahas, artiste contemporain qui réalise des tableaux chatoyants avec des plantes aquatiques et dont le travail avait déjà attiré mon attention lors d'une foire. Au cours de ma période d'exploration, que j'ai réalisée en plusieurs fois soyons honnête, j'ai également pu voir des bijoux archéologiques ou encore des photographies. Certaines fois, des  œuvres ont été regroupées en petits programmes thématiques, comme par exemple « Les cheveux des femmes dans la peinture », ou parfois apparaissent dans une suite aléatoire improbable, comme lorsqu'entre un Caravage et un Bruegel, s'est glissée la vidéo « 8 bit trips » de Ninja Moped, au son et à l'esthétique du jeu vidéo.

Bien évidemment, les œuvres qui s'adaptent le plus au format télévisuel sont les vidéos. Ainsi, je suis tombée un soir sur une série de vidéos qui semblaient toutes avoir pour thème l'hiver et le froid. J'y ai découvert une vidéo qui a attiré ma curiosité, « Deep North » de Chris Larson, dans laquelle on peut voir une maison entièrement gelée, des plaques électriques aux tasses à café, et qui dispose d'une étrange et immense machine en bois servant apparemment à créer des blocs de glace.

Le bilan est donc mitigé. Car malgré de belles rencontres et découvertes, le format n'est pas forcément idéal, ni le plus adapté pour apprécier véritablement des œuvres d'art. Si je trouve malgré tout le fait de profiter des nouvelles technologies, de la dématérialisation de l'image pour faire voyager les œuvres et les rendre accessibles de manière illimité instantanément dans le monde entier plutôt génial, cela ne saurait remplacer la visite d'expositions, la lecture de livres, de catalogues, etc. Voir des œuvres défiler de manière aléatoire et arbitraire est certes une expérience qui peut être intéressante, mais qui je pense a ses limites. S'intéresser à l'art doit selon moi rester pour chacun une démarche active, sensible, subjective et personnelle. Mais attendre passivement, que des œuvres tombent toutes cuites dans notre bouche grande ouverte, dans l'espoir de s'enrichir intellectuellement et émotionnellement est un leurre. Il ne faudrait pas croire qu'on peut regarder de l'art comme on mange de la purée.

Ophélie