L’irakienne Hana Subhi, lauréate du Prix Ibn Khaldoun Senghor
Le 7e Prix Ibn Khaldoun Senghor a été décerné à Hana Subhi pour sa traduction, du français vers l’arabe, de l’ouvrage d’Edgar Morin «La méthode Tome 5 : L’identité humaine, l’humanité de l’humanité».
Raja AL-TAMIMI- Euronews :
Hana Subhi, félicitations pour le Prix de l’OIF 2014 qui vous a été attribué pour la traduction du livre d’Edgar Morin « La Méthode-5, L’humanité de l’Humanité, l’identité humaine », du français vers l’arabe. Pourquoi avez -vous choisi de traduire ce livre ?
Hana Subhi :
“En fait, quand la guerre a été déclarée contre l’Iran en 2003, j’ai été perdue. J’ai vécu l’une des folies humaines : la peur de l’autre, le danger de sortir, l’incertitude et chaos total.
“Face à un tel tableau sanguinaire et apocalyptique, j’ai décidé de résister en me rendant afin d‘éviter de sombrer dans la folie et le désespoir. J’ai décidé de traduire le livre de Morin comme riposte à toutes les atrocités de la guerre et leurs conséquences sur les habitants et les infrastructures. Au fur et à mesure que j’avançais dans ce livre, je trouvais des réponses à mes interogations.
“L’identité humaine porte en elle la forme de la condition humaine plurielle et polymorphe, non de façon disjointe ou successive, mais à la fois “faber, sapiens, economicus, ludens, déliriens, demens”. Elle ne se dissout ni dans l’espèce, ni dans la société. L’homme peut évoluer en dialoguant avec l’autre et avec soi-même. Une partie de lui pense et vit un travail affectif et imaginaire qui a pour horizon la mort, dans une “dialogique circulaire, rationalité – affectivité – imaginaire – réel – démence – névrose – créativité.” Le criminel, le fou, le saint, le prophète, le génie, l’innovateur échappent aux normes courantes.
“Morin refuse de réduire l’identité humaine à une théorie homogène et unique. Il élargit nos modes de pensée en soulignant la richesse et la complexité de nos liens dans l’organisation sociale de la sexualité, au sein de la famille et dans l’historicité de nos institutions. En même temps, nous sommes en marche vers une identité planétaire, dans une société de méta-machines et de méta-connaissances. L’avenir est donc très incertain, partagé entre une méta-humanité (réaliser toutes les potentialités humaines) et une surhumanité (faire le choix de celles qui nous paraîtront humaines).
“Morin propose une leçon d’humilité et de tolérance à ceux qui prétendent détenir les solutions de l’identité de certains groupes, voire de l’identité planétaire. La somme des connaissances humaines ne peut plus être l’apanage d’un groupe et la diversité humaine est infinie. On ne peut en fixer arbitrairement le cadre ou des normes rigides, ce serait arrêter le mouvement humain par des sentiments contestables conduisant à des destins douteux.
Certes, cet avenir nous réserve des surprises et Morin nous demande de le voir avec lucidité et sans préjugés. Notamment en se méfiant de la mondialisation du modèle occidental “impulsée par le quadrimoteur efficace : science-technique-industrie-capitalisme”, capable d’occasionner des dégâts mettant en danger les équilibres fondamentaux de la planète. Morin appelle à une prise de conscience de l’inter-solidarité humaine et de la communauté de destin planétaire. Seule une “éthique de la connaissance” peut nous permettre de gérer nos contradictions et de développer des qualités proprement humaines.
“Cette traduction des idées de Morin représente, pour moi, une réponse à la folie de l’homme et à sa propre témérité sur terre, une sonnette d’ alarme pour que l’homme soit plus juste dans ses choix.
“La traduction est un pont entre les cultures et rapproche les peuples les uns des autres, et ce dialogue des civilisations entre les communautés est très nécessaire, surtout à l’heure actuelle, pour comprendre l’autre, s’enrichir mutuellement pour diffuser la pensée des Lumières, une chandelle dans les sentiers de l’homme, donner l’espoir de contribuer à la promotion de la paix et la stabilité dans le monde. Dans ce contexte, je voudrais mettre l’accent sur le rôle important joué par la Philosophie, les Arts et les Lettres dans l’accomplissement de l’individu et de sa pensée.
“Dans mon parcours de traductrice, et mon isolement lors de ces moments contradictoires,
difficiles et joyeux, je me demandais si les textes que je traduisais allaient être lus par des arabophones et leur être utiles. J’éprouvais du bonheur quand je recevais de temps à autre temps des courriers électroniques de lecteurs arabes pour me féliciter de ma traduction de Morin ou d’un doctorant préparant sa thèse sur Morin en arabe me demandant si j’avais d’autres traductions de lui.
“Ce Prix est une reconnaissance et une récompense qui m’a honoré et je continuerai à traduire afin d’enrichir le dialogue des cultures et contribuer, modestement, à rapprocher les civilisations.”
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