ENNEMIS INTIMES
Tout enfant souhaite grandir sous le regard continu et l’attention absolue de ses parents, son désir d’hyperpuissance s’exprime ainsi : je veux l’amour exclusif de mes parents, j’exige qu’ils ne s’intéressent qu’à moi, qu’ils n’existent que pour moi. Ce désir immature est entamé par la présence – antérieure ou postérieure à sa naissance – de frères et sœurs. En effet il faut apprendre à partager son territoire – pour l’aîné – ou apprendre à se créer un territoire – pour le cadet. Au cours de cet apprentissage du partage et de la frustration (ma part est plus petite si je la partage), l’enfant expérimente une autre facette du sentiment de la jalousie, non plus celui appartenant au complexe d’Œdipe, ressenti pour le parent du même sexe que lui, mais celui se rattachant au complexe de Caïn, ressenti pour son égal, qu’il juge comme étant l’objet de la préférence affective de ses parents.
Cette concurrence est bien sûr perturbante, elle est douloureuse puisqu’elle nous prive de l’amour exclusif de nos parents, et pourtant elle est incroyablement salutaire dans la mesure où elle nous force à nous détacher de la fusion maternelle, de nous tourner vers l’environnement extérieur à la cellule familiale. Elle contribue au processus d’individuation, c’est-à-dire à l’affirmation d’une individualité, d’un moi différencié des autres membres de la famille.
Ce sentiment de jalousie est donc à l’origine d’une prise de conscience de l’ego, d’un éveil de la curiosité, de l’exploration consciente vers la connaissance (questions sur la naissance, l’origine, l’existence) : ce sont les prémisses de l’activité intellectuelle. Ce sont aussi les prémisses des relations sociales. En effet le dérivatif à cette réaction de jalousie et la peur d’exclusion qu’elle engendre, incite l’enfant à créer son premier cercle amical, à choisir ses partenaires de jeux : c’est une manière de dépasser l’agressivité associée à la jalousie.
Cela dit, la relation fraternelle ne se réduit pas à la rivalité, elle est bien plus complexe que cela, elle est le lieu d’une grande ambivalence affective, pulsion meurtrière et attachement puissant se mêlent. En effet, le frère (ou la sœur) est un égal pour soi (relation de type horizontal) vis-à-vis de l’autorité parentale (relation de type vertical) : cela implique qu’il joue le rôle de compagnon dans ce grand voyage initiatique, sous le toit familial, qui dure une vingtaine d’années. Ce compagnon de fortune se révèle être un allié de premier choix lors de situations familiales insécurisantes, instables, conflictuelles. Il représente un sas de sécurité entre moi et la violence inhérente à la relation de dépendance et de domination qui me lie à mes parents. C’est dans la relation fraternelle que j’expérimente l’appartenance à une même génération, la solidarité et la relation affective d’égal à égal qui procure bien plus de latitude et de liberté car je peux éprouver l’ambivalence affective sans me sentir en danger, ce qui est plus difficile à surmonter dans la relation parentale.
Une grande différence d’âge (7 ans minimum), la gémellité, l’enfant unique, une fratrie séparée durant l’enfance, représentent des situations qui comportent des nuances dans la lecture de ce qui vient d’être énoncé, tous sont cependant concernés par les problématiques de la relation fraternelle.
Dans un thème natal, la maison 3 renseigne sur les relations de la personne avec ses frères et sœurs, sur la qualité de son comportement de groupe, les relations avec ses pairs. La configuration de la maison 3 influe sur celle des autres maisons dédiées aux relations sociales, celle des maisons 7 (relations avec un conjoint, un partenaire) et 11 (relations amicales, réseaux), puisque la relation fraternelle façonne le modèle de référence des relations entretenues à l’extérieur de la cellule familiale.
En maison 3, se situe la planète Pluton, elle traduit les luttes de pouvoir existant au sein de la fratrie et l’angoisse qu’elle suscite chez la personne. La fratrie se révèle être le lieu où le sujet expérimente ses pulsions ainsi qu’un sentiment d’isolement.
Quand on considère le signe du Gémeaux dans la carte natale – significateur « naturel » de la fratrie -, l’on note qu’il est localisé en maison 12 : autre indicateur d’isolement, inconsciemment la personne porte en elle le deuil du frère rêvé, idéal, et par conséquent la souffrance de la séparation avec ce frère fantasmé. De plus, particulièrement réceptive aux projections inconscientes de ses frères et sœurs, elle peut accepter de jouer le rôle du vilain petit canard dans la couvée des cygnes et par ce moyen, accaparer l’attention de la famille.
La question que pose ce thème en termes de relations fraternelles est celle-ci : savoir déterminer les limites entre ce que je suis et l’image que me revoient mes frères et sœurs, de façon à ne pas me laisser enfermer dans un rôle.