Cette fiche pratique a pour objet de répondre aux principales questions pratiques relatives à l'action en démolition d'un ouvrage privé ou public irrégulièrement implanté.
A.En présence d’une construction privée irrégulière
La démolition d’une construction privée irrégulière est une mesure de restitution visant à faire cesser une situation illicite, laquelle profite au bénéficiaire des travaux ou de l’utilisation irrégulière du sol.
- Devant quel juge ?
Une action en démolition d’une construction privée irrégulière relève uniquement de la compétence du Tribunal de grande instance du lieu de situation de l’immeuble, conformément aux dispositions de l’article R. 211-4 du Code de l’organisation judiciaire, ou du Tribunal correctionnel en cas d’infraction au Code de l’urbanisme.
- Dans quels délais cette action peut-elle être engagée ?
En cas de construction conforme à un permis de construire, l’action en démolition ne peut être entreprise que dans le strict délai de 2 ans au plus tard suivant la décision définitive d’annulation du permis par le juge administratif, conformément à l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme.
En cas de construction en l’absence de toute autorisation, ou d’autorisation autre qu’un permis de construire (déclaration préalable, permis d’aménager), l’action en démolition peut être entreprise dans le délai de droit commun de 5 ans.
Pour plus de rapidité, lorsqu’une construction constitue en empiètement sur le terrain d’autrui ou viole un règlement de copropriété, il est également possible d’obtenir en référé sa démolition pour trouble manifestement illicite en sollicitant du juge des référés la remise du site dans son état initial, comme le prévoit l’article 809 alinéa 1er du Code de procédure civile.
- Quelles conditions doivent être réunies pour avoir des chances de voir cette action aboutir ?
S’agissant des constructions avec permis, les prétentions tendant à la démolition d’un ouvrage irrégulier n’ont de chance d’aboutir devant le juge judiciaire que si le juge administratif a lui-même, au préalable, prononcé l’annulation de l’autorisation d’urbanisme (permis de construire, permis d’aménager, déclaration préalable…) sur le fondement de laquelle l’ouvrage litigieux a été édifié.
Aussi, le juge judiciaire exige la réunion de deux autres conditions qui sont :
- un préjudice, direct et certain ;
- un lien de causalité entre ledit préjudice et la violation de la règle d’urbanisme.
- D’autres considérations existent elles avant toute action en démolition ?
Oui. Cette action s’effectue dans le respect des délais contentieux relatifs à une autorisation d’urbanisme. En effet, un recours en annulation ne peut être introduit que dans un délai de deux mois à compter de la publicité de l'acte (date d’affichage en bonne et due forme sur le terrain), éventuellement prorogé par l'exercice d'un recours administratif préalable (2 mois supplémentaires). Il convient donc d’être rigoureux et attentif lors de la demande d’annulation de l’autorisation d’urbanisme devant le juge administratif, et ce, avant toute demande tendant à la démolition de l’ouvrage devant le juge judiciaire.
- Que faire si la décision judiciaire prescrivant la démolition n'est pas suivie d'effet?
En vertu des dispositions de l’article L. 480-7 du Code de l’urbanisme, le juge impartit au bénéficiaire de l'utilisation irrégulière du sol un délai pour l'exécution de l'ordre de démolition.
Son injonction peut être assortie d'une astreinte de 500 € au plus par jour de retard. L'exécution provisoire de l'injonction peut être ordonnée par le tribunal.
Si le délai n'est pas observé, l'astreinte prononcée court à partir de l'expiration dudit délai jusqu'au jour où l'ordre a été complètement exécuté.
Enfin, si l'exécution n'est pas intervenue dans l'année de l'expiration du délai, le juge peut, sur réquisition du ministère public, relever à une ou plusieurs reprises, le montant de l'astreinte, même au-delà du maximum prévu ci-dessus.
B.En présence d’un ouvrage public irrégulier
La démolition d'un ouvrage public mal implanté constitue une mesure de restitution visant à faire cesser une situation illicite causée par un ouvrage public mal planté. Notons qu’en principe « Ouvrage mal planté ne se détruit pas » ! Toutefois, ce principe d’intangibilité connaît divers assouplissements notamment grâce à la théorie de la voie de fait.
- Devant quel juge ?
L’action tendant à la démolition d’un ouvrage public sur le fondement de la voie de fait relève uniquement de la compétence du Tribunal de grande instance du lieu de situation de l’immeuble.
- Dans quels délais cette action peut-elle être engagée ?
Ce n'est qu'à partir du moment où la dépossession illégale est reconnue que le délai de prescription pourra courir.
Toutefois, il convient de ne pas trop tarder dans la mesure où le fait de laisser le temps passer malgré l’absence de prescription, peut être interprété par le juge judiciaire comme constituant une « acceptation tacite » de la situation, excluant par conséquent la reconnaissance de la voie de fait (Cass. 3e civ., 19 déc. 2012, n° 11-21616).
- Quelles conditions doivent être réunies pour avoir des chances de voir cette action aboutir ?
Initialement, la voie de fait requiert d’être en présence :
- d’une atteinte grave à une liberté fondamentale ou à la propriété privée portée par l’administration et ;
- de l’exécution forcée d’une décision, même régulière, par l’administration alors qu’elle n’avait pas le pouvoir de le faire ou ;
- la prise de décision, par l’administration, gravement irrégulière en tant qu’elle est manifestement insusceptible de se rattacher à l’existence d’un pouvoir de l’autorité administrative.
Toutefois, la jurisprudence récente est venue restreindre ces conditions de sorte que :
- la notion de voie de fait est désormais restreinte au cas d’extinction du droit de propriété et non plus à la simple atteinte au droit de propriété (TC, 17 juin 2013, n° 3911)
- l’extinction du droit de propriété doit également être définitive (TC, 9 décembre 2013, M. et Mme P. c/ Cne Saint-Palais-sur-Mer, n°3931)
- l'implantation, même sans titre, d'un ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'administration (Cass, 1° civ., 13 mai 2014, pourvoi n° 12-28248)
Les chances de voir une telle action en démolition d'un ouvrage public aboutir apparaissent désormais de plus en plus minces, devant le juge judiciaire.
- Existe-t-il un autre recours ?
Oui. Il est toujours possible d’effectuer un recours devant le juge administratif lequel pourra également ordonner la démolition de l’ouvrage public.
Cette action devant le juge administratif ne peut exercée qu’à titre de mesure d’exécution du jugement constatant l’implantation irrégulière de la construction.
Le juge administratif n’ordonnera la démolition de l’ouvrage qu’après avoir vérifié que la construction n’est pas susceptible d’être régularisée et que sa démolition n’entraînerait pas une atteinte excessive à l’intérêt général. Ainsi, une balance sera faite entre le préjudice subi par le requérant et le coût pour la collectivité et les intérêts qu’elle défend de la sanction d’une démolition.