Pour vous l'attester, je ne vais pas signer mon testament ni même vous laisser mon nom. Vous saurez quoi mais vous ne saurez pas qui s'apprête à vous faire quelque révélation ou vous exprimer sa dernière volonté, qui, je le sais déjà, ne sera jamais respectée.
En disparaissant, je le sais aussi, je vous donnerai l'impression de quelqu'un qui n'est jamais apparu... l'empreinte d'un être qui n'a jamais existé. Il ne vous faut pas plus d'une seconde pour faire votre travail de deuil... pour tourner la page et reprendre votre ouvrage.
Et parce que je suis con, j'ai du mal à voir les choses autrement. Je vous le dis en vérité : personne n'aime personne. Les amis vous envient, les ennemis vous en veulent mais personne n'aime personne.
Quand on ne suscite aucun intérêt, on s'excite mutuellement, pour avoir l'air d'être avec quelqu'un ou de faire quelque chose. Les amours qui prennent fin prouvent qu'elles n'ont jamais commencé.
Les jours qui se lèvent n'empêcheront jamais la nuit de tomber.
Toute joie est une promesse qui rime avec tristesse. Tout est périssable et rien n'est inoubliable...
Tout passe : parole de quelqu'un qui est passé par là sans avoir eu le temps de vous dire qu'il est passé et que vous n'étiez pas là pour le recevoir ou le décevoir.
C'est pour cette raison, d'ailleurs, qu'il a rédigé son testament, notamment pour vous apprendre que même le pire est bon à prendre. Vous l'ignorez peut-être, mais vous êtes un traître ou une traitresse qui aura la maladresse d'ouvrir et de lire mon testament. Vous me divulguez, parce que vous vous estimez moins con que ce que vous êtes.
Qu'est-ce qu'un con ?
Telle est la question et la seule à laquelle je puisse répondre.
C'est aussi le seul rayon lumineux dans ce cercle vicieux qu'on appelle la vie, l'espérance ou l'ennui. Un con... un con est un con. Et toute notre ontologie repose sur cette tautologie. Le même, c'est l'autre... l'autre n'est pas le même.
C'est tout le problème. Vous n'êtes pas plus avancé et pourtant vous y êtes : le con c'est l'être, le verbe être, l'être en tant qu'être. Ce n'est pas un attribut, c'est la substance, le sens de l'être. Et comme personne n'en a assez d'être, on dénonce notre insuffisance.
Comment vous l'exprimez plus couramment ? Ce qui est con c'est que tout être est prisonnier du temps. Tout être finit par basculer dans l'avoir été, dans les ténèbres de l'oubli. Nous sommes tous des has been, nous vieillissons, nous ne faisons que passer... coup de vent... coup de dés... c'est beaucoup de bruit pour rien. L'être c'est le temps et le temps est une perpétuelle fuite en avant.
Rien devant. Rien derrière. Aucune possibilité de s'accrocher. Aucun intérêt, c'est du temps perdu. Autant en emporte l'étant. Le con qui vous aime ne vous aimera plus lorsqu'il sera moins con ou lorsqu'il saura que le con, c'est vous. Une impression... rien qu'une impression de déjà vu.
C'est le temps qui prend la décision d'appuyer sur le bon bouton. La seule bonne touche sur le clavier : "supprimer".
Je n'ai pas d'autre volonté : "Effacez... j'en ai plus qu'assez !"