J’ai commencé ma scolarité à l’école Christ Roi sur la rue Alexandre à Sherbrooke en 1965. Bizarrement, mes frères m’avaient appris l’alphabet et les nombres jusqu’à mille. Malheureusement, j’ai lâché l’école, au niveau d’une maîtrise en droit social et du travail. Mais j’ai l’impression d’avoir décroché à chaque niveau. Techniquement, c’est le cas. J’ai décroché et raccroché en troisième année, en 4e secondaire, au CÉGEP, au Bac, et finalement en maîtrise où je n’ai pas raccroché. Mais l’école a été une des rares stabilités dans ma vie. Quelqu’un m’a déjà dit : « L’intellectualisme t’a sauvé la vie. »
Chercher un sens à ma vie a donné un sens à ma vie.
L’école était le seul endroit où j’étais valorisé, le seul endroit où on me nommait. Je n’avais jamais une note en bas de 90 %. Vous connaissez des enfants qui ont un trouble de la concentration ? Moi, c’était tout le contraire. Je n’avais pas besoin qu’on me répète ; je comprenais toujours du premier coup. Sauf que j’étais gêné. À ma première journée d’école, j’avais une grosse envie de pipi quand la maîtresse parlait. Je me suis levé et je suis allé lui demander, en avant de la classe avec une option sur la porte de sortie.
— Madame ? Est-ce que je peux aller aux toilettes ?
Et là, j’avais tellement envie que je me suis lâché. La maîtresse a vu ça. Elle m’a pris par la main et m’a tourné vers la classe.
— Là, là, quand vous voulez aller aux toilettes, attendez pas de faire pipi dans vos culottes comme lui, là, là.
Dès qu’elle m’eut lâché la main, je me dirigeai aussi vite que possible vers la toilette. Comme j’avais évacué une partie de mon envie, je réussis à fermer le robinet. Mais mes bobettes étaient irrémédiablement trempes. Je m’enfermai dans les toilettes pour finir mon pipi. Et tordre mes bobettes au-dessus du bol. Et essayer d’essuyer l’urine sur mon pantalon, avec du papier de toilette qui se désagrégeait. Je remis mes bobettes avec du papier de toilette à l’intérieur pour me tenir les organes au sec. Je me lavai les mains au lavabo. J’ai un souvenir précis de ce moment, où je me lave les mains : l’odeur du savon. C’était la même à la poly, au CÉGEP et à l’UQAM, comme si une odeur avait négocié un monopole sur les moments où je me lave les mains dans une école. Je suis retourné à ma place. La maîtresse s’attendait peut-être à ce que je demande à m’absenter. Non. Chez nous, c’était sans intérêts. Je suis resté et j’ai séché sur mon banc d’école, en écoutant attentivement tout ce que disait la prof. Malgré la honte qu’elle m’a foutue, j’ai tout de suite aimé l’école. J’étais avide d’apprendre ; je le suis toujours.

(Nous souhaitons la bienvenue à Denis Ramsay qui devient un chroniqueur régulier du Chat Qui Louche. AG)
Notice biographique :

« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée. Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie. Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants. Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires. Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉRLes chroniques du jeune Houdini. D’autres romans sont en chantier… »