Le président du Parlement européen, Martin Schulz, a refusé l'ouverture d'une commission d'enquête sur les Luxleaks - © European
Le refus d'une commission d'enquête ambitieuse sur l'évasion fiscale passe mal au Parlement européen, où les élus s'interrogent sur le rôle que l'exécutif entend leur accorder.Alors que les nouvelles révélations des Swissleaks ont fait remonter la pression sur la question de l’évasion fiscale, la passivité du Parlement européen sur le sujet irrite ses membres.L’institution a en effet refusé d’ouvrir la semaine dernière une commission d’enquête pour des raisons juridiques. La conférence des présidents estime que la mise en place d’une commission spéciale, sur laquelle le Parlement se prononcera jeudi 12 février, sera suffisante.Lire : Le Parlement européen refuse l’ouverture d’une commission d’enquête sur l’évasion fiscaleInterrogé par EurActiv, Manfred Weber, président du groupe PPE au Parlement européen, estime que la commission spéciale était la seule envisageable. « Vous savez que la commission d’enquête n’était pas possible pour des raisons juridiques, le mandat déposé par les Verts n’était pas solide et trop vague. Les cas très concrets d’évasion fiscale n’auraient pas été mis sur la table. Or, nous voulons une enquête qui puisse établir une vraie transparence, sur les impôts de Google, d’Amazon, etc. » explique l’eurodéputé allemand, tout en estimant qu’il faut continuer à faire pression sur les États membres, parce que ce sont eux qui règnent sur le sujet.De l’avis général, la pression sera néanmoins moins forte avec une simple commission spéciale, qui n’a pas accès aux documents nationaux, plutôt qu’une commission d’enquête. Seulement trois commissions d’enquête ont été mises en place depuis la création du Parlement européen : sur le transit douanier, la vie équitable et la vache folle.Recours pour abus de pouvoir contre Martin Schulz ?Le refus de cette « quatrième » commission ne fait qu’exacerber la frustration des Verts, à l’origine du projet.« Chaque fois que le Parlement européen a l’occasion d’avoir du pouvoir, il recule ! Si ce n’est pas sur l’évasion fiscale, c’est sur le budget. Ce qui fait du Parlement un paillasson sur lequel les chefs d’État s’essuient les pieds » regrette Philippe Lamberts, le président du groupe des Verts au Parlement.Son groupe songe d’ailleurs à faire un recours devant la Cour de Justice de l’UE pour abus de pouvoir à l’encontre du président du Parlement européen, Martin Schulz. « Il n’y a pas eu de débat en conférence des présidents sur la commission d’enquête sur l’évasion fiscale. Martin Schulz a décidé seul que la commission d’enquête ne serait pas évoquée pour des raisons juridiques. On assiste à la soumission totale des socialistes au groupe PPE » se désole l’élu belge.Lire : La coalition pro-Juncker tente d'éviter une commission d’enquête sur les « LuxLeaks »Côté socialiste, les positions ne sont pas si tranchées. Les 13 membres de la délégation française PS au Parlement européen ont ainsi soutenu la demande de la commission d’enquête de leurs signatures. « Si les Verts étaient venus nous voir pour déposer une demande de commission d’enquête, elle aurait sans doute vu le jour » estime Pervenche Berès, chef de la délégation socialiste.Un refus « politiquement irresponsable »La timidité du Parlement sur le sujet demeure néanmoins en travers de la gorge des socialistes. « Ce refus est politiquement irresponsable » estime Eric Andrieu. « Quand on voit ce qui s’est passé dans le Doubs ce week-end, je pense que les institutions européennes devraient se comporter de façon plus mûre » estime l’eurodéputé. Une remarque qui trouve écho dans l’annonce du parti de gauche radicale espagnol Podemos, qui va collaborer avec le lanceur d’alerte Hervé Falciani, à l’origine des fichiers HSBC transmis au fisc français.« Nous allons coopérer avec M. Falciani sur les paradis fiscaux. Nous sommes tous en train de nous faire spolier et nous devons prendre des mesures contre cette attaque contre la démocratie. Donc nous sommes très honorés de collaborer avec M. Falciani» précise le leader de Podemos, Pablo Iglesias, en campagne pour les législatives espagnoles prévues en mai.Un Parlement « godillot » ?Le malaise manifeste des eurodéputés sur cette question de commission d’enquête reflète un sentiment plus général de faible prise en compte du Parlement européen par la nouvelle Commission.«En tant qu’ancien Premier ministre, Jean-Claude Juncker a tendance à accorder le pouvoir au Conseil européen » constate un élu.La structure de gouvernance officieuse qui prévaudrait actuellement, soit une réunion hebdomadaire qui se tiendrait le lundi soir entre Jean-Claude Juncker, Martin Schulz, Manfred Weber, Guy Verhostadt et Gianni Pitella, n’a rien de démocratique s’insurgent certains parlementaires, qui se sentent sur la touche.Le programme de travail pour 2016 du Parlement européen, sur lequel travaille le PPE, interroge aussi. « C’est un programme qui va comprimer le temps réservé aux commissions parlementaires » regrette Pascal Durand, eurodéputé Vert. Une analyse partagée par Yannick Jadot, qui estime que les chefs de groupes se mettent d’accord pour « faire un Parlement godillot comme l’Assemblée nationale, où l’exécutif fait exactement ce qu’il veut ».Lire : Le Parlement européen soutient une commission d'enquête sur les « LuxLeaks »« La frustration provient aussi du fait que la Commission ne donne quasiment pas de travail au Parlement en ce moment ; pour les nouveaux élus, venir à Strasbourg pour ne voter sur rien, ce n’est pas très motivant » estime un vieux routard de l’institution.En l’absence de propositions de la Commission déjà ficelées, les élus européens, qui n’ont pas l’initiative législative, doivent se contenter de débats et de rencontres avec les nombreux lobbys. Comme le résume sobrement Manfred Weber à la tête du groupe PPE, « ce Parlement n’est pas comme un Parlement national, il n’a pas les mêmes pouvoirs ».EurActiv.frAline Roberthttp://www.euractiv.fr/sections/politique/blues-au-parlement-europeen-apres-lechec-dune-commission-denquete-sur-levasion