Je me suis levée, épuisée par des angoisses, entre le boulot précaire et les fins de mois qui commencent le neuf de celui-ci. Seule dans mon lit, les draps froissés, avec juste le bruit des ouvriers qui défoncent pour le nième fois le macadam gris devant chez moi, un rituel annuel pour ajouter une nouvelle canalisation, un nouveau câble, rien peut-être. La vie, la version ciel blanc ou ciel gris, rien de nouveau.
Hier j'avais un entretien, une société de luxe, une business woman reconnue sur la liste des millionnaires voire plus, j'ai été reçue par une quadra droite dans son tailleur gris, impeccable brushing de blonde, visage froid, aucune émotion, seul bémol à sa tenue frigide, une body rose en dentelle sous sa veste grise. Une excentricité pour son management, un test pré-st valentin peut-être. Un entretien sans nuances, mes diplômes, mes écoles, les cases d'un système autiste qui se sauve lui-même de son impossible ouverture vers l'initiative, vers l'expérience multiple. La pièce était fade, des murs beiges, d'un autre temps, ou sortis d'un cerveau nouvelle tendance mélancolie d'un soir d'asile psychatrique de l'ex-bloc soviétique. Rien ne me donnait envie de m'éclater dans cette société pourtant au nom brillant. Trop gris pour moi !
Des questions à la créativité fatiguée :
"Etes-vous prête à vous impliquer totalement, physiquement dans la relation avec notre stratégie, avec votre management ?"
"Rien n'est simple, ici nous voyons les objectifs autrement, avec une constante implication, serez-vous prête à vous soumettre à nos règles ?"
"Implication, mais aussi totale disponibilité pour le poste que vous visez ? Est-ce bien ce que vous voulez ?"
Dans mes pensées, prête à bosser, mais dans un projet dont on ne m'avait même pas encore évoqué le début, je ne doutais pas, je cherchais à comprendre le sens de ces questions formatées par un consultant névrosé. J'ai baissé les yeux, elle portait de très beaux talons fins, une folie pour travailler avec autant de hauteur. Etrange détail.
Une porte s'est ouverte, elle s'est redressé, soumise au diktat du manaement probablement, dans l'ombre, le gris opposé à la lumière venant des baies vitrées, elle est apparue. Quinqua, brune aux cheveux longs, ondulés et brillants, fidèle à son imae des magazines d'économie ou de stratégie, un tailleur en cuir couple, des bottes de marque. Du bout de ses ongles vernis, un bleu nuit très joli, elle a déposé des dossiers blancs, annotés d'une écriture grise. Quelques mots vers celle qui baissait quasiment les yeux, moi je l'ai observé, dans toutes ses nuances. Elle devait prendre un avion pour les USA demain matin, avec avant un dîner business dans un restaurant étoilé de la capitale. Tout était codifié. Dans un mouvement digne d'une des meilleures publicités pour coiffeurs, le marketing est quand même fort pour nous faire croire qu'elles le valent bien, nous aussi devant notre télé payée à crédit, ses cheveux ont illuminés cet atmosphère un peu gris, les chaînes de ses colliers, de ses bracelets ont scintillés, sans aucune douleur, sans aucune soumission inutile, sans contraindre mon court espace de rêve. La porte s'est refermée.
Devant moi, un dégradé de gris, des dossiers entre blanc et noir, foncés ou clairs, elle rangeait tout cela. Je ne pensais plus qu'à partir, me libérer de cette bulle fictive, où tout était trop beau, trop factice pour être vrai, trop riche pour être parfait, trop codifié pour être humain, trop dans une relation dominante-dominée pour être saine. Je me suis levée, elle semblait m'avoir oubliée.
"Si vous voulez savoir qui je suis, ce que j'ai fait, ce que j'aurai voulu faire avec votre entreprise, retrouvez-moi au happy hour chez Arlequin. C'est un bistrot coloré, au coin de Belleville, avec du jazz et des gens heureux. Je vais y passer ma nuit."
Voilà j'ai fait la fête, dans ma tenue habtuelle, une jupe trapèze noire, un collant imprimé de couleurs, un pull douillet, une écharpe molle de soie, perchée sur mes bottines pailletées. Il y avait les copines, les amis, un monde ouvert, des métiers divers et des passions pleines de couleurs. De l'amitié et de l'amour, du vrai !
Nylonement