Les Start-up, les Licornes sont devenues les best practices des marques et des agences de l’ancien monde… le journaliste Adrien Tsagliotis les a analysées dans un livre indispensable.
Darkplanneur : « La digitalisation des marques est le grand sujet 2015, quels sont les enseignements tirés de votre livre à mettre en application pour réussir cette mutation? »
Adrien Tsagliotis :« Je pense que les choses ont évolué depuis l’arrivée d’Internet. Les marques se sont adaptées et sont désormais beaucoup plus à l’aise avec le digital qu’il y a quelques années. A mes yeux, il ne s’agit plus vraiment ici de mutation. D’ailleurs, la plupart des jeunes qui rejoignent les rangs de ces entreprises dîtes traditionnelles ont tous grandi dans cette ère du digital. Pour autant, je pense qu’encore trop souvent celles-ci ont tendance à considérer le web comme un canal de vente ou de communication (publicité payante et Community Management notamment) sans parvenir à tirer pleinement parti du web. A l’inverse, les start-up nées sur Internet considèrent, elles, le web comme un outil permettant de créer de la valeur pour leurs clients.
Prenons par exemple le cas de marques évoluant dans le secteur de la mode. Beaucoup de start-up du web évoluant dans ce milieu ont eu l’idée d’utiliser Internet pour créer quelque chose de nouveau, en apportant ainsi une réelle valeur ajoutée aux clients, quand les marques traditionnelles se contentent trop souvent de lister leurs produits sur un site marchand. Celles-ci pourraient s’inspirer de start-up comme ShoeDazzle, qui a su se démarquer sur le créneau de la vente de chaussures en ligne en se positionnant comme le styliste personnel de ses clientes (la start-up effectue chaque mois une sélection de chaussures correspondant à leur profil). Ou encore de Tinker Taylor qui vend des vêtements et accessoires de luxe entièrement personnalisables par ses clients. Ou même du site français Envie De Fraises, spécialisé dans la vente de vêtements pour femmes enceintes, qui distribue divers conseils et informations à ses clientes tout au long de leur grossesse via sa newsletter. Ce sont de ces start-up nées sur Internet dont il est question dans « S’inspirer des start-up à succès ». Des initiatives souvent originales et innovantes dont pourraient s’inspirer les marques. »
D : « Quelle est pour vous la « start-up à succès » modèle ? »
AT : « Je m’intéresse tout particulièrement aux start-up qui ont réussi à transformer leur modèle de revenus en atout. Je cite dans le livre plusieurs exemples dont celui de Blablacar. Le service est en effet l’un des premiers dans l’univers du covoiturage à avoir développer un processus de réservation entièrement en ligne. Grâce à sa mise en place, son PDG Frédéric Mazella m’avait expliqué avoir réussi à diviser par 10 le nombre de désistements, tout en instaurant dans le même temps un effet de filtrage extrêmement positif. En développant la confiance entre ses utilisateurs, Blablacar a ainsi su s’imposer face à des concurrents qui proposaient pourtant du covoiturage gratuit ! Réussir à générer des revenus tout en améliorant l’expérience utilisateur n’est néanmoins pas chose aisée. Pour développer ce type de cercles vertueux et faire de son business model un outil de croissance, il faut savoir se montrer inventif. »
D : « Beaucoup de ces start-up ont été créés par des entrepreneurs Y, quelles sont les méthodes managériales qu’ils ont apportées? »
AT : « Les fondateurs de start-up ont conscience du fait que chaque employé peut avoir un impact. Par exemple, j’ai récemment appris en lisant un billet sur le blog de la start-up Gumroad que celle-ci n’avait pas hésité à confier le développement de son application Android à l’un de ses stagiaires ! . Steve Jobs lui-même disait qu’ « une petite équipe de joueurs de catégorie A+ peut largement surpasser une gigantesque équipe de joueurs de catégories B et C ». C’est véritablement le cas avec Internet: une start-up n’a pas besoin de compter des milliers voire des centaines d’employés pour avoir un impact sur le monde. Pour preuve, lorsque WhatsApp se fait racheter par Facebook, celle-ci ne compte qu’une cinquantaine d’employés ! L’importance donc pour un fondateur de start-up est de tout faire pour recruter ces profils « A+ ».
D : « Quelles sont celles utilisables par des entreprises traditionnelles, majoritairement dirigée par les plus de 45 ans? »
AT : « Ne pas avoir peur d’aller à la rencontre des clients (d’où le fameux dicton « Get out of the building »)! Lorsque Brian Chesky, PDG d’Airbnb, prend la décision d’abandonner son appartement pour aller dormir chez ses clients – en utilisant Airbnb – il se met alors directement dans la peau de ses utilisateurs. Cette expérience lui en apprendra ainsi beaucoup plus que n’importe quel rapport rédigé par un cabinet d’étude. Il faut que l’entreprise puisse développer une « culture de l’empathie » si elle veut être en mesure de comprendre les attentes de ses clients. Autre exemple en la matière, celui de l’application de partage de photos Frontback et de son CEO, Fréderic della Faille. Celui-ci n’hésite pas à prendre régulièrement des cafés avec des utilisateurs de son application. L’entreprise a en effet réussi à tisser des liens privilégiés avec sa communauté. Les portes des bureaux de Frontback leur sont d’ailleurs toujours ouvertes et certains d’entre eux ne se privent pas de venir saluer l’équipe lorsqu’ils sont de passage à San Francisco ! Sans peut être aller jusqu’à dormir chez ses clients, des initiatives comme celles-ci sont à la portée de n’importe quel dirigeant de plus de 45 ans. »
D : « On présente souvent l’employé Y comme infidèle et peu impliqué, mais un Airbnb prouve le contraire, en créant des conditions matérielles et financières qui entraînent l’adhésion totale des Y, même 7 jours sur 7? »
AT : « La fidélisation des employés est une réelle question, notamment dans la Silicon Valley où les meilleurs profils – surtout des ingénieurs – sont très convoités. On assiste actuellement à une véritable guerre des talents entre les géants du secteur IT. S’ils ne peuvent rivaliser avec des Google ou Facebook en terme de salaires, les fondateurs de start-up peuvent toutefois attirer des talents d’une autre manière : en partageant leur vision et en faisant en sorte que d’autres puissent la voir également. Autrement dit, en essayant de convaincre que leur projet va bientôt changer le monde, à l’instar d’un Airbnb qui révolutionne actuellement la manière dont nous voyageons. Bien sûr, il existe bien d’autres types d’incentives. Certaines start-up mettent par exemple en avant le bien-être au travail, à l’image d’Evernote qui a adopté – avec d’autres – une politique de vacances illimitée. L’entreprise n’hésite pas également à rémunérer les services d’une femme de ménage deux fois par mois afin que ses employés ne consacrent pas trop de leurs temps libres aux tâches ménagères. »
D : « Quel avenir voyez vous pour ces start-up? Vont-elles devenir des grandes entreprises comme les autres, ou au contraire devenir le modèle à suivre pour les autres marques? »
AT : « Cela dépend de quelles start-up on parle ici. Si vous prenez l’exemple d’Uber – qui serait aujourd’hui valorisé plus de 40 milliards de dollars -, difficile alors de la considérer comme une PME. La vérité est que des sociétés comme Airbnb ne sont pas seulement des modèles à suivre, elles sont à l’origine de nouveaux écosystèmes. Des start-up de conciergerie ont par exemple vu le jour grâce à elles (Bnbsitter…etc). Mieux, ces start-up de la « Sharing Economy » sont véritablement en train de modifier nos comportements. Elles changent notre rapport à la propriété. Nos biens sont désormais devenus une monnaie d’échange, donnant droit, en retour, à une multitude de biens appartenant à d’autres (comme l’a d’ailleurs très bien montré l’initiative de Brian Chesky citée précédemment). Les nouvelles générations auront probablement une mentalité très différente de la nôtre, ce qui aura automatiquement un impact sur la manière dont les entreprises feront du business dans le futur. »
D : « Ces start-up arrivent-elle à développer l’intrapreneuriat en leur sein et si oui comment? »
AT : « En encourageant autant que possible la prise de risque. C’est par exemple ce que fait Facebook. Le réseau social encourage ses employés à constamment inventer et innover, quitte à connaître l’échec. Dans ses locaux, le fameux slogan « What would you do if you weren’t afraid » est affiché partout. Facebook sait en effet que chaque employé peut faire la différence, que ce soit en inventant une nouvelle fonctionnalité, un nouveau concept, etc. En effet, recruter des personnes talentueuses ne sert à rien si leurs compétences ne sont pas mises à profit. HP n’avait pas prêté beaucoup d’attention à Steve Wozniak lorsqu’il y travaillait à l’époque. Il quittera pourtant l’entreprise pour cofonder Apple avec un certain Steve Jobs. »
Bio : Adrien Tsagliotis est journaliste spécialisé dans le secteur des nouvelles technologies. Il écrit principalement pour le JDN (Journal du Net).