On parle beaucoup de déflation en ce moment, mais très peu de taux d'intérêt. Il m'a donc semblé utile de consacrer un billet à la notion de courbe de taux d'intérêt, car elle permet de déduire beaucoup de choses sur l'état d'une économie.
Qu'appelle-t-on courbe des taux d'intérêt ?
Il s'agit d'une représentation graphique de la relation entre la valeur des taux d'intérêt et leurs termes. Pour le dire autrement, la courbe de taux d'intérêt représente le rendement annuel offert pour une même obligation à des maturités différentes. Le bon sens vous savez, la chose la mieux partagée sur terre, mais en économie on peut avoir des doutes suffit à comprendre qu'en raison du risque, les taux longs doivent normalement être supérieurs aux taux courts, c'est-à-dire que la courbe des taux d'intérêt doit être en général croissante.
Mais dans certains cas bien précis (sous-réaction des taux d’intérêt à long terme, baisse de l'inflation anticipée, défaut sur la dette), la courbe peut s'inverser comme ce fut le cas en Grèce ou au Portugal fin 2011.
Comment a évolué la courbe des taux d'intérêt aux États-Unis et dans la zone euro ?
Commençons par la zone euro :
[ Source : BCE ]
L'allure de la courbe des taux d'intérêt au sein de la zone euro s'explique par la politique monétaire menée par le président de la BCE, Mario Draghi. Celui-ci vient en effet d'annoncer la mise en place d'un quantitative easing afin de lutter contre la déflation dans la zone euro, comme je l'avais expliqué dans ce billet de mon blog. Notons que cette mesure est venue compléter la baisse historique des taux directeurs décidée fin 2014.
Quant aux taux à long terme, rappelons juste qu'un taux d'intérêt de 0,37 % sur 10 ans pour une obligation de l'État allemand et de 0,70 % pour son cousin français, n'est certainement pas le signe que tout va bien dans la zone euro...
Mais pour les États-Unis, le constat est beaucoup plus surprenant : la courbe des taux d'intérêt aux États-Unis connaît un aplatissement !
[ Source : Bloomberg ]
D'où vient l'aplatissement de la courbe des taux aux États-Unis ?
En général, le retour de la croissance - comme c'est le cas aux États-Unis -, conduit à une pentification de la courbe des taux d'intérêt en raison de l'inflation. En effet, lors d'une reprise bien établie de l'économie, les investisseurs anticipent une hausse des taux d'intérêt à court terme par la Banque centrale, afin de lutter contre l'inflation ; cela se transmet ensuite aux taux à long terme et donc la courbe de taux se pentifie, c'est-à-dire devient plus raide si l'on peut dire.
Mais la reprise économique aux États-Unis conduit au contraire à un aplatissement de la courbe des taux d'intérêt. Cela s'explique si l'on regarde l'évolution du taux d'inflation anticipé sur les marchés, appelé swap d'inflation :
[ Source : Natixis ]
On constate donc que l'inflation anticipée baisse, ce qui débouche sur une baisse des taux d'intérêt à long terme. Au même moment, les taux d'intérêt à court terme augmente car la Banque centrale (la Fed) anticipe le retour d'une croissance solide.
Quelles conclusions peut-on en tirer ?
Tout d'abord, le non-retour de l'inflation aux États-Unis alors même que la reprise est enclenchée, reste très inquiétant. Cela confirme ce que j'avais expliqué dans ce billet, à savoir que les salariés américains ont perdu pour longtemps leur pouvoir de négociation salarial.
Mais on peut dire la même chose des salariés européens, et plus généralement de l'OCDE : depuis la fin des années 1990, le partage des revenus se déforme structurellement en faveur des entreprises, au détriment des salariés qui doivent subir la flexibilisation du travail et la précarisation !
Cette situation d'aplatissement de la courbe des taux d'intérêt observée aux États-Unis est pourtant également défavorable aux financiers. Les banques, notamment, voient leur rémunération baisser lorsqu'elles exercent leur métier de base, à savoir la transformation de l'épargne à court terme en prêt à long terme.
Cette situation montre bien que la bonne santé d'une économie ne se mesure pas qu'à l'aune du taux de croissance ou du niveau des taux d'intérêt, dont certains affirment à tort que la hausse du premier et la baisse du second est un signe positif ! La réalité vécue sur le marché du travail peut expliquer bien plus de choses, pour peu qu'on ait la volonté de l'analyser.
En définitive, l'étude des courbes de taux d'intérêt nous permet d'affirmer que l'économie mondiale peine encore à se remettre de la crise de 2007, car les salariés
ont été passés par pertes et profits... pardon, par pertes tout court !
N.B : l'image de ce billet provient d'un article du site http://www.fo-auchan.com