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[note de lecture] Anne Malaprade, "lettres au corps", par Florence Trocmé

Par Florence Trocmé

Couv_malaprade_15 Étrangeté et familiarité sont puissamment ressenties, ensemble, à la lecture de ce premier livre d’Anne Malaprade. Tout y est proche, tout y semble d’ailleurs. Sans doute cela s’ancre-t-il dans une vraie concrétion des temps et de l’espace. D’où écrit-elle, Anne Malaprade, d’où vient sa voix, n’est-ce que sa voix qu’elle donne à entendre, ou bien des voix multiples, voix de l’enfant qui demeure incroyablement vivante en elle, voix de l’enfance, souvent inquiétantes, voire violentes, voix surtout de celles et ceux qu’elle a élus et qu’elle lit, si proches et si lointains. Proximité et éloignement que traduit son écriture, au plus près. La connivence ici n’existe pas, mais plutôt un sentiment paradoxal de distance intime. Une part d’elle comme incorporée à eux, l’autre part à jamais séparée, à la fois par le respect et par la conscience de ce qui sépare, irrémédiablement  
 
Le livre est une adresse. Une adresse multipliée, avec effets de réfraction et d’échos, à sept de ces écrivains qui sont presque écriture de son écriture (comme on dit chair de ma chair, la question de la paternité et de la maternité hantant ces lignes). Ces écrivains, il ne convient pas de les nommer ici, il faut les chercher, cela fait partie du processus de lecture et il serait inapproprié d’en dire plus. Ces noms ne sont pas cachés, ils sont dévoilés à la fin du livre mais on ne saurait trop conseiller de ne pas aller les chercher avant d’avoir accompli sa lecture. Si l’on peut tenter cette comparaison,  cette inconnue sur l’identité du destinataire de la lettre est aussi indispensable au lecteur que l’est en analyse la stricte neutralité de l’analyste. Elle permet les projections qui sont part essentielle de la lecture, que cette lecture fait même surgir comme peu d’autres. Presqu’en abime, puisque le lecteur se lit lisant la lectrice qui lit. Qui lit qui ? Qui lit pourquoi ? « J’existe parce que je lis et lie », écrit-elle dans l’un des textes qui encadrent les « lettres » et qui viennent refléter puis amplifier la démarche.  
Écrire sous, dit Anne Malaprade en une formule un peu énigmatique, en ce sens qu’on se demande à quoi elle se réfère, précisément, tant s’y mêlent le souvenir d’enfance (écrire sous une image, légender une carte ?) mais aussi le fait -et les lecteurs de Poezibao savent comment elle le fait-, d’écrire sur, sur les livres des autres, en une écriture-écoute puissante et informée ; mais aussi écrire-lire et enfin écrire à. « Disposer de l’écrit en plusieurs couches, selon des positions toujours plus incertaines : lire à l’envers, depuis ce qui n’est pas dit, depuis votre tu. ». Ne nous donne-t-elle pas là aussi une image de sa pratique de lectrice, une méthode pour aborder l’œuvre de l’autre.  
 
De brefs éclats biographiques, fantasmatiques et peut-être fantasmés (on pense parfois à Claude Louis Combet ou à Louis-René des Forêts), une référence forte au ressenti du corps viennent accroître la force de ce très beau livre qui se termine par une méditation sur le déchiffrage, déchiffrage de la musique, de la partition sur le piano mais aussi déchiffrement de ce qui est comme codé, dans les livres, dans le corps, dans le monde : « Lire une partition émet un son qu’aucune lecture écrite ne peut dire. » 
 
[Florence Trocmé]  
 
voir ici des textes d’Anne Malaprade :  
Un texte dans la revue Sur Zone de Poezibao 
Deux extraits de lettres au corps dans l’anthologie permanente  
 
Anne Malaprade, lettres au corps, éditions Isabelle Sauvage, 2015, 10€ 
 


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