Fin d'hiver, lettres à Lucien par Thérèse Jerphagnon

Par Mpbernet

Je suis fâchée avec la philosophie depuis la classe de terminale où un professeur aussi filandreux que gauchiste avant l’heure – nous étions en 1963 - m’a fait, sans doute à tort, détester cette matière. Ce n’est donc pas la perspective de mieux connaître la vie et l’œuvre d’un grand philosophe spécialiste de l’Antiquité et du christianisme qui m’a attirée vers ce livre, mais la proximité de Lucien Jerphagnon  avec Paul Veyne, dont j’apprécie pleinement le talent.

Car ce court ouvrage n’est pas un livre de philosophie. C’est le cri de douleur de son épouse Thérèse, encore follement éprise après cinquante années de mariage, et inconsolable après sa disparition. Cette détresse me touche, car je n’ose imaginer les angoisses qui peuvent assaillir un vieux couple comme celui que je forme, moi aussi depuis un demi-siècle, avec mon mari.

Comme Lucien et Thérèse, qui « répétaient « Je t’aime » comme une litanie, à l’infini, sans jamais nous lasser », moi aussi j’appréhende, l’âge et les maladies venant, la séparation. Ce livre-hommage n’est qu’une longue plainte, attendrissante, violente, réaliste, parfois naïve d’une femme pleine de sensibilité. La séparation, la mort, l’absence, le désir d’en finir au plus vite avec cette solitude sans intérêt. A un moment, Thérèse s’interroge sur sa propre utilité pour ses petits-enfants …

A propos de l’euthanasie, qui aurait permis à son amour de mari de souffrir un peu moins longtemps, elle dit fort justement « Notre société, à force de vouloir éviter les risques, ignore la réalité de la souffrance. » Ou encore : « Ce qui est licite contre des innocents qui ne demandent qu’à vivre (l’avortement) est interdit pour des adultes désespérés qui veulent en finir. »

Lucien et Thérèse se sont mariés le 8 février 1962 au Temple de la rue Madame, autant dire à quelques mètres de chez moi. Ils étaient professeurs tous les deux, ils s’aimaient. Au réveil, ils se racontaient leurs rêves. Elle l’admirait totalement : sa beauté, son élégance recherchée, sa gentillesse, son talent, sa capacité de travail et son érudition, sa simplicité malgré les sollicitations des médias, son humour par ailleurs salués par tous ceux qui l'ont rencontré.

Quelques mois après son départ, Thérèse dit que sa douleur même est morte d’épuisement. Mais qu’il y a d’autres tristesses que la sienne ; elle attend juste le moment de le rejoindre. Quelle leçon de vie !


Fin d'hiver, lettres à Lucien, essai par Thérèse Jerphagnon, préface de Luc Ferry, publié aux éditions Le Passeur, 190 p. 13,90€