Le plus intéressant pour moi est l'affrontement. Celui de trois visions de l'être humain.
- Machiavel. Dans un monde où règne le mal, il faut faire le mal en virtuose.
- Luther. Pensée pour le peuple. Il est illusoire de vouloir penser. Acceptons notre sort. Il y a des élus et des damnés. C'est Dieu qui a choisi.
- Érasme. Humanisme. Pensée d'une forme d’aristocratie intellectuelle. Esprit européen (d'où le titre), il est le frère des Rabelais, Montaigne, Thomas More. Précurseur des Lumières ? Glorification du libre arbitre humain, de la complexité de l'être, qu'il faut aimer en allant au delà des apparences (superficialité / profondeur par opposition à bien / mal de Luther), et de l'universalisme. Pour lui Dieu ne veut pas d'un troupeau luthérien, il veut que sa création cultive le potentiel qu'il a mis en elle. Certes, le monde n'est guère reluisant. Mais il ne faut pas baisser les bras. L'humanité doit rêver du bien, et le faire. En d'autres termes, Érasme croit à ce que les Lumières ont appelé "le progrès".
Et si l'erreur de ces trois courants avait été de se considérer comme ennemis ?, me suis-je dit. Et si chacun avait quelque-chose de bien ? Et si ce qui le rend mauvais avait été de croire qu'il avait trouvé le Graal, qu'il n'avait pas besoin des autres ? Alors, prendre à chacun ce qu'il a de bon ? L'idéalisme d’Érasme, comme stratégie, le réalisme de Machiavel, comme principe d'action, et la reconnaissance des vertus du labeur populaire, de Luther, comme fondation ?
(OSSOLA, Carlo, Érasme et l'Europe, Editions du Félin, 2014.)