A l’heure de l’hégémonie de la lecture sur écran, des ordinateurs aux liseuses, en passant par les smartphones, tablettes et phablettes, je fais régulièrement mon jeune vieux en encensant sur ces pages le plaisir vintage de lire dans une belle édition. Qu’il s’agisse d’ouvrages récents mais travaillés (voir mes éloges d’ouvrages publiés chez Monsieur Toussaint Louverture ou au Tripode) ou d’éditions originales ou anciennes, je trouve toujours merveilleuse cette capacité que peut avoir le contenant de rehausser le brillant de son contenu, voire, parfois, de rendre acceptable un texte en lui-même sans intérêt. C’est donc au hasard d’une balade dominicale que je suis tombé il y a quelques semaines sur l’extraordinaire stand de la librairie PSW, spécialisée dans les œuvres de Jules Vernes, y ai entendu la non moins extraordinaire histoire des cartonnage Hetzel et suis reparti avec ce qu’il était raisonnablement en mon pouvoir d’acquérir, à savoir une vieille édition Hetzel du Pays des fourrures, dont l’acheteur historique n’avait apparemment pas apprécié la couverture et préféré la remplacer par une reliure maison d’un très sobre bleu nuit. Il ne se doutait alors probablement pas qu’il faisait ainsi perdre à son ouvrage la quasi-totalité de sa valeur future en même temps qu’il préparait la possibilité de mon acquisition. Qu’il ou elle soit pour cela remercié(e).
L’avis d’Emmanuel
Verne et nous, Verne et moiVerne jouit d’une position singulière dans le paysage littéraire Français. Précurseur du roman fantastique / d’anticipation / de science-fiction, il ne peut être considéré comme un « Auteur » avec une majuscule nobiliaire. Il occupe pourtant une telle place dans l’histoire du genre qu’il n’a cessé de faire l’objet de très sérieuses recherches et publications scientifiques. De plus, figurant parmi les auteurs les plus lus de l’histoire (avec notamment Vingt mille lieues sous les mers), il dispose d’une incroyable cote d’amour populaire en tant que contributeur éternel de notre patrimoine culturel commun. Mais le lisons-nous encore ? Reste-t-il autre chose qu’un pourvoyeur de livres d’étude en classe de sixième ou une source d’inspiration à siphonner par les studios hollywoodien ? J’avoue ne pas avoir de réponse à proposer à cette question. Le fait étant que pour ma part, je n’ai jamais trouvé le courage de lire ses plus grands classiques, ceux dont la trame narrative n’a de longue date plus de secret pour personne (Vingt mille lieues sous les mers, Le tour du monde en quatre-vingt jours, Voyage au centre de la terre – j’ai lu ce dernier enfant dans un contexte scolaire -, L’île mystérieuse…) et ai préféré me tourner vers ses romans considérés comme mineurs, ou en tous cas moins connus, comme Mathias Sandorf ou Le village aérien. Nul besoin de préciser que Le pays des fourrures, dont le titre ne vous parle probablement pas plus qu’à moi lorsque je me suis vu proposé l’ouvrage, s’inscrit avec dignité dans cette approche alternativo-anticonformisto-bobo adoptée par l’auteur de cette chronique.
Omelette norvégienne et îles flottantesL’hiver glacial du Septentrion américain à la fin du XIXe siècle. Des mètres de neiges, une nuit de plusieurs mois, de fantasmatiques monstres à fourrure et d’exotiques populations indigènes. D’intrépides et patriotiques pionniers qui n’hésitent pas à mettre leur vie en danger pour étendre le territoire de chasse de leur compagnie. Une aventurière aussi courageuse qu’élégante. Un astronome allumé…. La recette de Verne est connue depuis longtemps : s’emparer des espaces vierges, et donc attirants, de la connaissance humaine, s’y confronter dans une approche d’exploration / une attitude pionnière, prendre pour point de départ les dernières découvertes ou hypothèses scientifiques de l’époque et broder à partir de là sur un mode fantastico-plausible avec un talent certain. Au temps ensuite de faire le tri parmi les scénarios imaginés, entre ceux qui ont gardé un sens (nimbant l’auteur d’une aura de génie) et ceux qui font désormais figure de fantaisie imaginée pour les enfants (qui ont rapidement sombré dans l’oubli). Avec ses ours polaires comme principaux pourvoyeurs de frisson et ses histoires de glaçon à la dérive, il faut bien admettre que sans parvenir à l’extrémité la plus négative du spectre, Le pays des fourrures, s’est incliné depuis longtemps du côté du roman d’aventure pour enfants. Impossible toutefois de s’ennuyer avec sa lecture, car la technique narrative de Verne y demeure excellente, les péripéties et rebondissements s’enchaînant de chapitre en chapitre jusqu’au dénouement que, sans spoiler, vous imaginez évidemment heureux.
A lire ou pas ?Le Pays des fourrures n’est certainement pas l’une des œuvres les plus incontournables du bon Jules. Tentant de revisiter la thématique des récits de voyage vers les pôles mystérieux (voir nos critiques des Aventures d’Arthur Gordon Pym et des Montagnes hallucinées), Verne n’a malheureusement pas bénéficié de l’un de ses éclairs visionnaires qui ont fait des aventures de Nemo et de Phileas Fogg des classiques éternels. En résulte toutefois un gentil récit d’aventure dont la lecture au coin du feu, tout particulièrement dans une édition de qualité, ne pourra pas vous être désagréable.