La nuit appartient à ceux qui…
…ont le cœur gros, même s’ils n’en veulent plus. Mais à bouffer à tous les râteliers de la vie, faudrait arrêter de s’étonner d’avoir les dents du fond qui baignent et le sommeil en option. J’voudrais te raconter, comme hier, mon lit trop dur, mes lattes qui décampent et mes rêves sans queue ni tête. Juste parce que ça te faisait sourire si fort que les matins d’automne ne pleuvaient plus.
Mais faut avouer que ces derniers temps, j’ai le rêve plutôt fuyant et la nuit à tuer. Les mauvaises nuits, c’est une histoire de filles de joie qui te refilent le désespoir en MST. Certaines détalent en allumant la lampe de chevet pour vérifier qu’aucun monstre n’a décidé de squatter l’armoire ou n’importe quel tiroir. D’autres s’égarent dans les bras d’un gros trou noir à coup de somnifères et de bouteilles à moitié vides. Mais quand le petit jour se lève déjà, que t’es en train de refaire pour la énième fois le nœud coulissant d’une corde au bout de laquelle n’auront jamais pendu que des promesses froissées, vraiment, ça te fait une belle jambe de l’avoir passée cette putain de mauvaise nuit.
À vouloir se sentir vivant à tout prix, y’a toujours un moment où demain et sa gueule moche finissent par se pointer. Et y’a des matins où t’as beau frotter du mieux que tu peux, plus rien ne part. Ni le tartre sur tes dents jaunies par la vie, ni la colère qui colle à ta peau acnéique, ni l’odeur de brûlé des feux de paille de tes mauvaises nuits. Et si la nuit appartient à ceux qui ont le cœur gros, l’art appartient à ceux qui ont du pognon. L’art est un animal sauvage que des mecs en costume-cravate gardent en cage. Des mecs qui attendent qu’il se fatigue à force de tourner en rond, pour pouvoir l’ausculter sans qu’il montre les dents. Excuse-moi, mais, ces mecs-là, ce sont les mêmes que ceux qui te parlent d’un pays à travers le buffet à volonté et la piscine d’un hôtel cinq étoiles. L’art est un cri du cœur et il ne faudrait le toucher qu’avec les yeux. L’art ne devrait appartenir à personne, ni aux mecs en costume-cravate qui se payent du bon temps sur son dos, ni aux artistes qui finissent par enfiler les mêmes costumes trop serrés, encore moins aux gourous qui s’en servent pour te dire
comment penser. Ne forcez pas les gens à s’enfermer dans des salles à la lumière tamisée, ne leur demandez pas de le comprendre de le jauger de le juger le long d’un parcours fléché. Ne leur demandez pas de mesurer l’émotion sur une échelle qui n’ira jamais plus haut que le plafond. Laissez les joies faire un peu trop de bruit, laissez les colères exploser et salir les murs blancs. Laissez les amants faire l’amour dans les salles d’armes. Laissez les larmes mouiller les lettres d’antan. Laissez les rires et les cris se répandre dans les couloirs. Laisser la violence et l’espoir se prendre les pieds dans le tapis. Laissez les corps parler et les masques tomber, laissez l’émotion éternuer un peu trop fort dans les salles climatisées. Et puis, laissez ceux qui n’ont plus ni le temps ni l’envie secouer la tête, la prendre entre leurs mains et se faire rembourser. L’art est un pays étranger et j’ai peur en avion. La nuit n’en finit plus de tomber et mon cœur gros n’en veut plus.