d'après LE HORLA (1886 - 1ère version) de Maupassant
Le docteur Philippe Louis,
Un aliéniste éminent,
Dirige à Paris
Une maison de santé renommée.
Il invita récemment
Quatre praticiens pour examiner
Un de ses patients :
-" Voici le cas le plus inquiétant
Qui m'a été donné de rencontrer. "
Il le fit entrer.
Le malade était fort maigre
Comme sont maigres
Certains fous que ronge une pensée.
La pensée troublée
Dévore
La chair du corps
Plus que la phtisie.
Le patient s'assit et dit :
-" Je sais pourquoi on vous a réuni.
Les spécialistes m'ont cru fou longtemps,
Mais apprenez, aujourd'hui,
Que j'ai l'esprit
Aussi clairvoyant
Que vous. Mais je commence par les faits :
J'ai quarante-deux ans.
Avant d'être interné
J'habitais un manoir près de Rouen.
Mon personnel se composait d'une lingère,
D'un jardinier, d'un valet et d'une cuisinière.
Tous logeaient chez moi. Il y a un an, en mars,
Je fus pris de malaises bizarres.
Une sorte d'inquiétude fiévreuse
Me tenait en éveil la nuit
Et le moindre bruit
Provoquait en moi des trépidations nerveuses.
J'avais d'inexplicables accès de colère.
J'ai décidé de changer d'air
Mais un étrange fait
M'a amené à rester.
Un soir, après avoir bu un verre d'eau,
Je remarquai que le carafon,
Posé sur mon bureau
Était resté plein jusqu'au bouchon.
Pendant la nuit, j'ai voulu boire de nouveau :
Dans la carafe, il n'y avait plus une goutte d'eau.
La nuit suivante, je fermai ma porte à clef
Afin que personne ne puisse pénétrer.
Huit heures après,
Quand je me suis réveillé,
J'ai constaté qu' on avait bu toute l'eau.
Qui avait bu cette eau ?
Le lendemain soir, j'ai rusé.
Je plaçai,
À côté du carafon,
Une bouteille de vin rosé,
Une tasse remplie de lait,
Une tartelette aux pommes et des bonbons.
On n'avait touché ni au vin ni au gâteau.
Par contre on avait bu le lait et l'eau.
Les jours suivants,
Je laissai d'autres boissons,
Gâteaux et bonbons.
Jamais on ne mangea les nourritures solides.
On ne touchait seulement
Qu'aux liquides.
Je me servis alors d'une ruse nouvelle.
J'enveloppai les objets auxquels
On touchait dans des serviettes de lin blanc.
Puis au moment
De me mettre au lit,
J'ai frotté mes lèvres et mes mains
Avec un bouchon brûlé, noirci.
À mon réveil, le lendemain,
Les objets étaient demeurés immaculés
Bien qu'on ait bu l'eau et le lait.
Or, ma porte était verrouillée
Et les volets étaient restés fermés.
Le surnaturel, je n'y croyais pas.
Aujourd'hui, je n'y crois toujours pas.
Mais je suis certain qu'il existait
Un être invisible qui me hantait.
Il me quittait,
Et puis il revenait.
Quelques jours après,
J'ai retrouvé un verre brisé
Parmi ceux qui étaient rangés
Dans le vaisselier.
Mon valet accusa la cuisinière,
Qui accusa la lingère,
Qui accusa le jardinier.
Puis, des portes fermées à clef s'ouvraient
Ma fenêtre claquait.
Et on continuait à me voler du lait.
Un autre soir, les pages de mon livre
Se mirent toutes seules à tourner.
Ma lampe est tombée.
J'assure que je n'étais pas ivre ;
Fort surpris, j'attendis
Et compris qu'il était là, lui.
J'ai voulu le toucher, lui,
Mais il avait fui.
Cet Être, comment le nommer ?
L'Invisible ? Non, cela ne suffit pas.
Je l'ai baptisé le Horla.
Pourquoi ? Je ne sais.
Le Horla ne me quittait plus.
Il m'épiait,
Je le sentais tout près.
Je l'ai vu.
Parfois, j'allais me regarder dans la glace
En me plaçant bien en face.
Hé bien, je ne me voyais pas dedans !
Elle était vide. Je demeurais déconcerté
Et n'osais pas
Avancer la main, redoutant
Qu' il ne se trouvât
Entre le miroir et moi. Il m'a échappé.
Le lendemain, je me présentais ici.
Le docteur Louis,
Doutant de mes propos,
S'est déplacé aussitôt
Dans mon village et constata
Que trois de mes voisins,
Étaient atteints
Des mêmes symptômes que moi.
Docteur, est-ce vrai ? "
Le médecin répondit : -" C'est vrai. "
-" Vous leur avez demandé
De laisser de l'eau et du lait
Pour voir si ces liquides disparaitraient.
Le soir suivant, ils l'ont fait.
Ces liquides ont-ils disparu ? "
Le médecin répondit : -" Ils ont disparu. "
-" Donc, messieurs, un Être,
Un Être nouveau, vient de naître.
Et il va se multiplier.
Ah ! Vous souriez !
Il est invisible à nos yeux,
Mais, messieurs,
Nos yeux distinguent à peine
Ce qui est indispensable à notre vie.
Le trop petit
Leur échappe,
Le trop grand leur échappe,
Ce qui est trop loin, idem.
Ils ignorent les milliards de petits animaux
Qui vivent dans une goutte d'eau.
Ils ignorent le sol, les habitants
Et les plantes des astres voisins ;
Ils ne voient même pas ce qui est transparent.
Placez votre œil devant une glace sans tain,
Il ne la distinguera pas.
Apercevez-vous l'électricité, le vent
L'air ? Non. Alors quoi d'étonnant ?
Cet être que j'ai nommé le Horla
Existe, c'est évident.
Qui est-ce ? C'est celui que la terre attend
Après l'homme ! Il vient nous détrôner,
Nous asservir, nous dompter.
La peur de l'Invisible nous a toujours hantés.
Les légendes des gnomes et des fées,
C'était de lui qu'elles parlaient.
Aujourd'hui,
Quand vous pratiquez
L'hypnotisme,
La suggestion et le magnétisme
C'est sans doute lui qui agit. "