Alors celui-là, honnêtement, si ce n’était Komikku qui me l’avait envoyé, je ne l’aurais jamais ouvert. Son nom, Snow Illusion, d’une relative banalité et sa couverture qui m’évoquait un manga français bateau m’avait vraiment convaincu de le fuir. Mais voilà, la promotion d’un titre ça a du bon et il est arrivé dans ma boite aux lettres.
Je l’ouvre donc, la semaine dernière, pour le feuilleter rapidement, m’attendant à voir mes doutes confirmés dans un dessin amateur et une mise en scène barbante. Que nenni ! Le trait est fin, le chara-design a quelque chose d’hypnotique et les émotions sont retranscrites avec une certaine intensité. Et la femme, l’héroïne du nom de Yuki, m’intrigue…
« Tiens, c’est p’tet pas mal en fait ?!«
Direction la pile de mangas à lire.
Deux jours passent, durant lesquelles je recroise le bouquin à 2 ou 3 reprises, et à chaque fois j’ai ce réflexe de feuilleter le livre, pour ne pas oublier que derrière cette couverture digne d’un roman de Marc Levy, il pourrait bien y avoir du talent chez Icori Ando. D’autant que la dame a déjà publié une demi-douzaine d’œuvres entre josei et seinen et entre fantasy et slice of life, dans des magazines de prépublication assez sympas comme le Feel Young de chez Shodensha (Complément affectif, Les Fleurs du passé). Snow Illusion, de son nom d’origine Yukionna Gensou – Michiyuki Hen, y a d’ailleurs été publié en 2013.
Et donc, finalement, un soir, j’embarque ce one-shot pour un moment de lecture sous la couette.
Je vais l’avaler d’une traite.
It’s just an illusion…
L’histoire débute avec un couple tout ce qu’il y a de plus commun, vieille école même : Susumi a épousé Yuki – la belle, travailleuse et toujours souriante Yuki – qu’il a croisé un beau jour enneigé, alors qu’elle était de passage dans son village. Le temps passe et leur vie ressemble au bonheur… mais le passé resurgit toujours, tout comme les parts d’ombre enfouies en chacun de nous. Pourquoi Susumu éprouve-t-il une telle colère lorsque Yuki lui parle d’Aika, sa collègue de travail et amie d’enfance de Susumu ? Et pourquoi Yuki semble surtout se préoccuper de l’amour de Susumu, quoi qu’il en coûte ?
A peine comprend-on cette fragilité que, en un instant, tout bascule et s’effondre… La neige se remet alors à fondre et le temps s’écoule, les douleurs s’effacent.
Mais il neige toujours quelque part et Yuki retrouve un autre amour, dans une autre ville, à une autre époque : un jeune ébéniste passionné par son métier et désireux de faire ses preuves auprès de son père et de la Terre entière. Mais l’ébéniste remarque une chose étrange : un homme rode autour de leur boutique, un homme sans âge, que Yuki semble ne pas remarquer (délibérement ?). Le père du jeune artiste est lui aussi intrigué, par un souvenir d’enfance où son voisin avait épousé une femme venue de nulle part. Une femme aimante, souriante et attentionnée qui a un beau jour disparu, sans prévenir. Un souvenir vieux de plusieurs décennies, où la fameuse femme ressemble étrangement à Yuki…
Qui est Yuki ? Pourquoi son corps est-il toujours aussi froid ? Quelle est son histoire et son secret ? Et qui diable est donc cet homme qui semble la poursuivre, de ville en ville, depuis toujours ?
La Femme des neiges à la recherche de chaleur humaine…
Snow Illusion revisite donc le mythe de la Femme des neiges, aka Yuki-Onna, personnage du folklore japonais à la personnalité très controversée. Autrefois décrite comme cruelle, tuant les gens par le froid ou aspirant leur énergie vitale, elle est désormais vue comme plus humaine, comme un fantôme bienveillant. Comme elle l’explique en post-face, Icori Ando est une grande amatrice de ce personnage aux multiples facettes et elle tente ici d’en faire sa propre synthèse, dans un josei fantastique et romantique. Chaque histoire nous dévoile un peu plus la malédiction fabriquée par la mangaka, qui plane sur Yuki et qui la lie à cet homme à casquette, qui la recherche.
Impossible de vous en dire plus sans vous spoiler les événements majeurs de l’histoire mais disons que ce titre est mis en scène avec brio et véhicule tout un panel de sensations pour le lecteur, de la chaleur du foyer à la tempête glaciale, presque mortelle, qui sonne le glas du couple. Comme dans les légendes la femme des neiges fait peur mais fascine, et nous présente des apparences très trompeuses : lisse en surface et en public, toujours charmante et aimable, yuki est en réalité d’une bouillonnante sensibilité. Dès qu’elle est seule, on peut lire dans son regard mille émotions : du désespoir, de l’incompréhension, de l’inquiétude et de la tristesse.
Elle fait tout son possible pour trouver sa place, ce qui se fait en général assez facilement, et met encore plus d’énergie pour la conserver, ce qui s’avère beaucoup plus difficile… En effet, le mystère sème de nombreuses et dangereuses graines dans le cœur des hommes. Snow Illusion c’est, aussi, une belle allégorie entre deux personnages irréels : la femme des neiges et l’épouse modèle japonaise, prête à se sacrifier pour recevoir l’amour de son époux, la seule chose capable de donner un sens à sa vie. Un mythe et un fantasme qui se superposent d’une manière troublante et il est difficile de savoir lequel des deux est le plus destructeur ou le plus improbable…
Snow Illusion c’est, finalement, une histoire aussi cruelle que belle, aussi touchante qu’intelligemment construite, qui doit autant au coup de crayon subtil de sa mangaka, à son cadrage serré, centré sur les émotions des personnages, qu’à sa narration abrupte, qui aime balayer le bonheur d’un revers de main pour laisser la place à un abîme de tristesse… Et à la mélancolie.
Même le meilleur manga du monde passera inaperçu si personne ne l’ouvre, alors peu importe sa couverture – que ma femme aime bien d’ailleurs, allez comprendre – ouvrez Snow Illusion et partez à la découverte de cet excellent josei, caché sous la neige !
Fiche descriptive
Titre : Snow Illusion
Auteur : Icori Ando
Date de parution du dernier tome : 29 janvier 2015
Éditeurs fr/jp : Komikku / Shodensha
Nombre de pages : 224 n&b
Prix de vente : 8.50 €
Nombre de volumes : 1/1 (terminé)
Visuels : © 2014 Icori Ando
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