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Marcel Mazoyer : comment nourrir la planète

Par Mpbernet

Marel Mazoyer

histoire agriculture

Dans le cadre des ciné-rencontres du musée Dapper, nous avons assisté à une conférence du Professeur émérite Marcel Mazoyer, en compagnie de l’anthropologue Brice Ahounou, en marge de l’exposition « L’art de manger, rites et traditions » et à la suite de la projection du documentaire "Je mange donc je suis" de Vincent Bruno.

Une étincelante explication des effets dévastateurs de la production alimentaire mondialisée basée uniquement sur le prix le plus bas du marché. Et une réponse à la première question angoissante : le monde sera-t-il en mesure de nourrir les 7 milliards d’êtres humains ? En fait, la réponse est oui. Cependant aujourd’hui, la plus grande majorité de ceux qui produisent la nourriture sont victimes de malnutrition, puisque 70% des 800 à 900 millions de personnes souffrant de la faim sont des paysans, alors que les 30% restant sont venus grossir les bidonvilles des cités où, la plupart du temps chômeurs, ils consomment mais ne produisent rien.

Quelques chiffres : 3 milliards de personnes (sur les 7 de la planète) sont en situation de pauvreté. Dont 2 milliards souffrent d’insuffisance alimentaire provoquant des carences et des maladies, dont encore la moitié sont en insuffisance calorique grave. La première cause de cette situation n’est pas à rechercher dans les inégalités (dans les pays de l’OCDE, autour de 1970, il y avait des inégalités criantes mais on ne mourait pas de faim), mais dans la pauvreté qui induit la précarité alimentaire de chaque jour. Et ce n’est pas une fatalité. La question à résoudre pour nourrir l’ensemble de la planète n’est donc pas de produire mais de résoudre le problème de la pauvreté.

Or, la très grande majorité des agriculteurs du monde travaillent avec des outils manuels, sans engrais ni pesticides et sans semences sélectionnées. Face aux multinationales disposant de terres immenses et d’un réservoir de main d’œuvre à bas coût, les rendements vont de 1 à 2000 ! Si on compte dans le monde 1,4 milliard d’actifs agricoles (sur les 2,7 milliards d’individus vivant de l’agriculture), on ne dénombre que 28 millions de tracteurs, 3 à 400 millions d’animaux de trait. Un milliard de paysans travaillent seulement à la main, avec des houes et des bêches …

La mise en concurrence sans entraves (tarifs douaniers protecteurs) de ces agriculteurs démunis avec les multinationales d’un nombre très restreint de pays exportateurs (Australie, Brésil, Argentine, Ukraine ….) représentant à peine 10 à 15% de la production mondiale mais l’essentiel du marché échangé au prix international (donc le plus bas), est à la limite, criminelle.

En Europe et en Amérique du Nord, pour des raisons évidentes de maintien de l’équilibre social, on a apporté des compensations financières, garantissant le niveau et la stabilité des prix agricoles, une politique qui a bien fonctionné. Mais pas en Afrique où l’on détruit massivement des paysans pauvres venant grossir les bidonvilles. En effet, les « miettes » sont plus importantes en ville où l’on meurt plutôt moins de faim qu’à la campagne …

Qui et pourquoi a-t-on conçu ce système mortifère ? Ce sont les accords de Marrakech signés le 15 avril 1994, instituant l’Organisation Mondiale du Commerce, qui ont consacré la libéralisation des politiques et échanges agricoles. Après la seconde guerre mondiale, on a lancé en Amérique Latine et dans le Tiers Monde, on a mis en œuvre des politiques de modernisation agricole visant à arrimer ces pays au système libéral et à éviter qu’ils ne dérivent vers le castrisme ou le maoïsme. Malheureusement, ces politiques de « Révolution verte » n’ont pas résolu la pauvreté, mais attiré les capitaux et favorisé la spéculation. Evidemment, cela a entraîné une baisse des prix des matières premières, incitant les pays pauvres à importer leur nourriture plutôt que de la produire à un coût nettement plus élevé. Tout va à peu près bien si les cours restent au plus bas … mais à la moindre variation à la hausse, on assiste dans les villes à des émeutes de la faim.

La mondialisation (organisée par l’OMC faisant suite aux accords du GATT) apparue dans les années 80 n’a pas que des aspects négatifs tans qu’elle ne concerne pas les productions agricoles. Mais depuis les accords de Marrakech, les investisseurs se précipitent sur toutes les occasions de gagner de l’argent. Le Brésil et l’Argentine se sont mis à produire massivement à 2/3 moins cher que les Européens ? Les Américains inventent des aides directes à leurs agriculteurs et militent pour l’ouverture des frontières aux produits agricoles avec comme alliés les transformateurs et les commercialisateurs afin de faire baisser les prix des matières premières – et donc les salaires.

Si on retirait 30% de la nourriture à ceux qui mangent trop ou gaspillent et si on mettait en culture des terres nouvelles, cela ne changerait rien. La solution est de protéger les producteurs locaux par des barrières douanières afin qu’ils puissent s’équiper pour produire localement ce dont ils ont besoin, qu’ils parviennent à la souveraineté alimentaire et que leurs prix soit à la hauteur de leurs coûts de production.

La majorité des « sachants » ont compris que pour sortir de la pauvreté et de la faim, il faut revenir à des politiques agricoles constructives et arrêter d’imposer des accords de libre-échange au secteur agricole.

Ma question est : quand aura-t-on la lucidité et le courage collectif de repenser la mondialisation dans ce sens ? Après quelle nouvelle catastrophe humaine si cruelle qu’elle secouera l’indifférence ?

Marcel Mazoyer (né en 1933), fils d’agriculteur, diplômé ENGREF Paris-Nancy, successeur de René Dumont à la tête de la chaire d’agriculture comparée et de développement à l’INRA Paris-Grignon, fut Président de 1984 à 1993 du Comité des Programmes de la FAO. Il a écrit, avec  Laurence Roudart un passionnant ouvrage très accessible au non-spécialiste : Histoire des agricultures du monde, du néolithique à la crise contemporaine, régulièrement réédité. Des préconisations pour une stratégie mondiale anti-crise fondée sur la sauvegarde et le développement de l’économie paysanne pauvre en forment le dernier chapitre.


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