Instruments des ténèbres de Nancy Huston,
Publié aux éditions J’ai Lu,
2001, 251 pages
Américaine, écrivain, divorcée et plus toute jeune, Nadia, qui se fait appeler Nada par dérision, entreprend d’écrire un récit à partir d’un fait divers ancien l’histoire de Barbe Durand, une jeune servante française mise à mort en 1712 pour avoir dissimulé sa grossesse puis fait disparaître l’enfant qu’elle avait eu de relations forcées avec son patron. En même temps, par bribes et fragments, Nada confie à son journal l’histoire de sa propre enfance dans une famille catholique disloquée par la déchéance alcoolique du père. Très vite, l’imaginaire impose son autorité au réel et les événements du passé investissent la vie de Nada au point de la bouleverser.
Cette lecture aura eu une résonance particulière en moi. Je l’ai d’abord faite avec en fond médiatique les événements liés à Charlie Hebdo: moments douloureux qui m’ont bouleversée, meurtrie profondément. Il y a aussi le thème du roman qui m’a touchée, liée à mon état de future maman: le destin d’une femme et de son enfant sur lequel elle s’arrogera le droit de vie et de mort. Ces deux circonstances me laissent un goût doux-amer vis-à-vis de cette lecture. Aurais-je lu les choses différemment si le contexte avec été différent? Sans nul doute…
Le roman de Nancy Huston croise deux récits qui s’alternent à chaque chapitre. Il y a le récit de Nadia ou Nada, une Américaine, écrivain plutôt douée. Nada raconte sa vie chaotique faite de nombreuses rencontres masculines et de cette répugnance à accueillir la vie en son creux au point qu’elle aura avorté de nombreuses fois.
Je n’ai pas vraiment su apprécié cette partie du roman. Nada est pour moi trop cynique, trop distante vis-à-vis de la vie des autres et de la sienne. Elle m’a semblé froide, implacable, parfois nombriliste. Et pourtant elle a su m’émouvoir à travers l’histoire qu’elle va nous raconter. En effet, le second récit du roman est fait par Nada: il est le fruit de ses recherches et de son imagination. Elle nous livre ici son futur roman au fur et à mesure qu’il s’écrit.
C’est selon moi la partie plus intéressante et la plus émouvante du roman. En effet, Nada y narre les vies de Barbe et de Barnabé, deux jumeaux nés au 17ème siècle. Leur existence est placée sous le signe du deuil dès leur naissance puisque leur mère meurt en couches. Orphelins, ils sont tous les deux placés respectivement chez une nourrice et dans un hospice tenu par des religieuses. Barnabé deviendra moine tandis que Barbe errera de foyer en foyer comme servante pour subsister.
Nada, l’alter-ego de l’auteur, nous raconte surtout la vie de la jeune Barbe qui se fait abuser par son patron. Enceinte, elle est chassée de la maison et erre sur les routes. Son bébé sera son seul espoir d’une vie nouvelle, un peu meilleure. Elle dissimule sa grossesse pour ne pas être à nouveau chassée et battue jusqu’au jour où elle donne naissance à son enfant.
La suite du roman est terrible. Barbe perd la tête, est accusée de sorcellerie. Les mots de l’auteur sont durs, cruels. La religion, encore une fois, fait commettre aux hommes les pires sévices au nom d’un Dieu tout-puissant et vengeur. L’auteur nous raconte simplement le destin malheureux de cette fille déshonorée, toujours accusée parce qu’elle est née femme.
Certains passages sont difficiles à lire, à imaginer. On sort assommé, groggy de cette lecture avec un sentiment douloureux qui reste accroché au cœur.