« Il est démocratiquement impensable qu’en République, il y ait encore
trop de gens qui se foutent royalement de tout… ».
Les temps sont durs, votez MOU ! En cette période électorale (les
élections départementales du 22 et 29 mars 2015) et de mandat hollandien, voilà un slogan qui pourrait être d’actualité. Mais il ne faut pas se
méprendre : MOU, c’est le Mouvement ondulatoire unifié. C’est le parti créé le 11 février 1965 (il y a cinquante ans) par …Pierre Dac. Eh oui, Pierre Dac, qui est mort il y a tout juste quarante ans ce lundi 9 février 2015 (à 81 ans), n’était pas
seulement un humoriste loufoque, il était aussi un ondulatoire unifié confirmé.
Ancien fondateur, avec Francis Blanche, du Parti d’en rire, né d’une ambition sans Borne : « Nous avons placé nos idéaux bien plus haut que les plus hauts des idéaux », il savait concocter de
précieux programmes électoraux : « Nos buts sont déjà fixés : réconcilier les œufs brouillés ; (…) apprendre aux chandelles à se
coucher ; (…) exiger que tous les volcans soient ramonés une fois par an (…). ».
Prince des apophtegmes
Pierre Dac, le prince des apophtegmes de campagne électorale, le marquis des formules creuses et loufoques,
excellait dans le discours politique enfumeur de préaux d’école ; il pouvait se hisser très haut dans la prétention de la langue de bois et de la pirouette en zigzag.
On lui doit ainsi cette phrase choc : « Parler pour ne
rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs de ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir. », ou encore celle-ci : « Rien de ce qui est fini n’est jamais complètement achevé tant que tout ce qui est commencé n’est pas totalement terminé. ».
Pierre Dac a présenté sa candidature à la première élection présidentielle au suffrage universel direct au cours d’une conférence de presse le 11 février 1965 à
l’Élysée-Matignon où les journalistes et photographes sont venus très nombreux l’écouter. Encadré par de robustes gardes du corps, Pierre Dac a fait son entrée solennelle dans la salle avec
beaucoup de grandiloquence, accompagné d’un cardinal et d’un cheikh arabe (l’émir Crado). À cette occasion, il a lu son bulletin de santé : « À
part quelques troubles glandulaires et une légère ptôse stomacale, je me porte bien ! ».
Une campagne dense (avec les loups)
Face au Général De
Gaulle, il avait déjà tout prévu, nommer Jacques Martin à Matignon, et ses ministres auraient été entre autres Jean Yanne et René Goscinny qui
collaboraient avec lui dans "L’Os à Moelle". Sa politique européenne aurait été très dynamique : ainsi, il a proposé la création d’un territoire suisse dans chaque pays européen. Par
ailleurs, sa politique étrangère aurait favorisé la détente (le monde était en pleine guerre froide), en affirmant qu’il était en excellents termes avec tous les chefs d’État étrangers :
« Étant donné que nous ne nous sommes jamais rencontrés, nos opinions sont en parfait état de concorde ! ». Grand psychologue, il
avait compris tout de suite le pourquoi du comment des phobiques : « C’est par peur de la trouille que le monde est dans la crainte du
pire. ».
Une fois lancée sa candidature, Pierre Dac publiait ses discours grandiloquents dans son journal bien connu,
"L’Os à Moelle". Chaque éditorial dans cette publication qu’il dirigeait (et qu’il avait créé le 13 mai 1938) était une partie de son programme présidentiel qui devait le conduire directement,
sinon à la Présidence de la République, du moins « à la station de métro la plus proche de l’Élysée ». Ne protestant pas contre ses propres
qualités d’ethno-œnologue, il apportait au peuple la transcendance de sa foi : « Quand le Calvin est tiré, il faut le croire. ».
Il avait ainsi imaginé un Ministère de la Fatalité pour suppléer aux autres ministères incompétents, avait
composé une "Sonate au clair de l’urne" pour bugle et harmonica. Il proposait une réforme fiscale qui aurait tout bouleversé en décidant que chaque contribuable paierait les impôts de celui qui
se trouvait à l’échelon inférieur. Il annonçait le dépôt de l’épineux dossier de la circulation routière chez maître Legrand-Schlem, notaire à Issoubly-sous-l’Huy. Il soutenait contre vents et
marées une politique du salsifis frit. Il informait ses lecteurs de son colloque au sommet Mao-MOU, et de son voyage en Indre. Parmi les autres cordes de son programme, il défendait le "droit
d’être pauvre", voulait réviser la Constitution pour exiger que le président du groupe majoritaire à l’Assemblée Nationale dirige lui-même l’orchestre de la garde républicaine, etc.
Il avait même dénoncé la corruption et les abus de bien sociaux : « Bien mal acquis ne profite jamais qu’à ceux qui sont assez malins pour ne pas se faire épingler. », ce qui ne l’a pas empêché de publier cette
petite annonce : « À vendre jolie collection de pots de vin ». Sensible au climat de gravité qui régnait à l’époque, il décrivait
merveilleusement l’atmosphère : « C’est quand les accents graves tournent à l’aigu que les sourcils sont en accents circonflexes. ».
Cela l’avait conduit à prôner l’unité nationale : « C’est ce qui divise les hommes qui
multiplie leurs différends. ».
Mais les plaisanteries ont toujours une faim et malgré l’appétit de Pierre Dac, il a finalement renoncé à son
canular assez rapidement pour éviter de polluer la vraie campagne présidentielle qui se dessinait. Ancien résistant qui avait rejoint De Gaulle le 31 octobre 1943 et qui était l’un des orateurs
français de la BBC, Pierre Dac a en effet reçu en septembre 1965 un appel téléphonique d’un conseiller de De Gaulle qui lui demanda se retirer, ce qu’il fit magistralement par fidélité et par
sagesse en prenant un prétexte quelconque : « Je viens de constater que Jean-Louis Tixier-Vignancour briguait lui aussi, mais au nom de
l’extrême droite, la magistrature suprême. Il y a désormais, dans cette bataille, plus loufoque que moi. Je n’ai aucune chance et préfère renoncer. » (septembre 1965).
Ce qui était assez proche de la réplique qu’avait balancée Pierre Dac à son juge qui avait prêté serment à
Pétain lorsqu’il s’était fait pincer dans les Pyrénées pour rejoindre Londres (il a mis trois ans pour le
voyage après deux évasions) : « En France, il y avait deux personnages célèbres, le Maréchal Pétain et moi. La Nation ayant choisi le premier,
je n’ai plus rien à faire ici. ».
Coluche, le successeur
Le 30 octobre 1980 au Théâtre du Gymnase, celui qui a repris dans un célèbre sketch la fameuse invention de
Pierre Dac, le Schmilblick, c’est-à-dire Coluche, a, lui aussi, cherché à se présenter à l’élection présidentielle au cours d’une conférence de presse mémorable : « J’appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards,
les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne
comptent pas pour les hommes politiques à voter pour moi, à s’inscrire dans leur mairie et à colporter la nouvelle. ». Son slogan : « Avant moi, la France était coupée en deux. Maintenant, elle sera pliée en quatre ! ».
Là aussi, la population a réagi favorablement au point d’avoir été crédité jusqu’à 10 à 12% dans les sondages
d’intention de vote (devant Jacques Chirac !) et d’avoir reçu le soutien de quelques intellectuels
de renom comme Gilles Deleuze, Pierre Bourdieu, etc. et aussi de François Cavanna et l’équipe de "Charlie Hebdo" (auquel Coluche contribua). Là encore, un émissaire de l’Élysée (Jean-Pierre Soisson) a discrètement
suggéré au comique troupier d’en arrêter là, tout comme deux émissaires du candidat François Mitterrand
(dont Jean Glavany). Ce que Coluche fit le 16 mars 1981 après d’autres pressions : « Je préfère que ma candidature s’arrête parce qu’elle commence à me gonfler ! »
(En fait, il n’avait recueilli qu’une seule des cinq cents signatures de parrainage nécessaires pour se présenter).
Pierre Dac et Coluche, deux comiques qui se sont immiscés dans la vie politique. S’ils avaient vécu un peu
plus longtemps, on aurait pu penser également que deux passionnés de la vie politique comme Thierry Le Luron
et Pierre Desproges auraient pu aussi avoir cette idée de déstabiliser le petit jeu présidentiel. Et aujourd’hui, il n’y a plus grand monde à vouloir jouer avec humour sans se prendre au
sérieux…
Et pour terminer, voici le discours que Pierre Dac a prononcé le 24 septembre 1972 à Meulan (je n'évoque pas
la manière dont il a voulu honorer ses hôtes), un discours particulièrement pratique, puisqu’il pouvait être prononcé en toute circonstance (à apprendre par tous, donc !).
« Mesdames, Messieurs,
Les circonstances qui nous réunissent aujourd’hui sont de celles dont la gravité ne peut échapper qu’à ceux
dont la légèreté et l’incompréhension constituent un conglomérat d’ignorance que nous voulons croire indépendant de leurs justes sentiments. L’exemple glorieux de ceux qui nous ont précédés dans
le passé doit être unanimement suivi par ceux qui constitueront dans un proche et lumineux avenir, un présent chargé de promesses que glaneront les générations futures délivrées à jamais des
nuées obscures qu’auront en pure perte essayé de semer sous leurs pas les mauvais bergers que la constance et la foi du peuple en ses destinées rendront vaines et illusoires.
C’est pourquoi je lève mon verre en formant le vœu sincère et légitime de voir bientôt se lever le
froment de la bonne graine sur les champs arrosés de la promesse formelle enfouie au plus profond de la terre nourricière, reflet intégral d’un idéal et d’une mystique dont la liberté et
l’égalité sont les quatre points cardinaux en face d’une fraternité massive, indéfectible, imputrescible et légendaire. »
(Pierre Dac)
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (9 février
2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Thierry Le Luron.
De Gaulle.
(Source principale : Jérôme Garcin dans "L’Express" du 9 février 1995).