Le second tour dans la quatrième circonscription du Doubs a vu, pour la première fois pour une élection législative partielle depuis 2012, s’affronter le PS et le FN. La qualification du parti de la majorité présidentielle à l’issue du premier tour a créé une certaine surprise mais cette deuxième place masque une perte très importante de ses électeurs depuis deux ans et demi, sans commune mesure avec celle des autres forces politiques se présentant à ce scrutin.
Les résultats du second tour ont consacré la victoire sans gloire du PS. Si le candidat socialiste, Frédéric Barbier, l’emporte face au Front national, l’écart entre les deux candidats est restreint (51,43% des suffrages exprimés contre 48,47%, soit un écart d’exactement 863 voix). Le PS a été capable de glaner davantage de voix entre les deux tours (+8 088 voix) mais les apports de voix pour le FN ont cependant été massifs (+6 259 voix), démontrant la rupture du « cordon sanitaire » autour du parti d’extrême-droite.
Cette victoire du PS s’est faite dans le contexte d’une mobilisation beaucoup plus élevée au second tour qu’au premier. Le 1er février, 39,56% des électeurs de la circonscription étaient allés voter. Au second tour, 49,07% du corps électoral s’était rendu aux urnes, soit une augmentation de participation exceptionnelle de près de 10 points.
Un score historique pour le FN dans cette circonscription
Le FN était arrivé largement en tête au premier tour, avec 32,6% des voix, réalisant l’un de ses meilleurs scores dans la quatrième circonscription du Doubs, néanmoins un peu en-deçà de celui obtenu aux élections européennes (35,08%), mais très largement supérieur à celui de la précédente élection législative en 2012 (23,87%). Au second tour, avec 48,57 % des suffrages, Sophie Montel recueille un score inédit pour son parti, mais dans une configuration également inédite puisqu’en 2012, le second tour avait donné lieu à une triangulaire PS-UMP-FN.
La progression est tout aussi impressionnante si l’on raisonne en nombre de voix. Jamais le Front national n’avait recueilli autant de suffrages sur ce territoire. Les 21,88 % d’inscrits obtenus au second tour de l’élection législative partielle par Sophie Montel sont très nettement supérieurs aux 14,22% atteints lors du second tour de l’élection législative de 2012, et surtout, ils marquent une progression par rapport à l’élection présidentielle. Celle-ci, du fait du fort taux de participation lors du scrutin phare de la Cinquième République (81,63%), était l’élection qui avait jusqu’ici permis au Front national d’engranger son meilleur score en voix dans ce territoire1. Ce plafond est aujourd’hui dépassé, malgré un taux de participation de plus de 30 points inférieur, ce qui tend à prouver que le FN, d’une part, mobilise fortement son électorat, et d’autre part, n’est pas seulement aller chercher de nouvelles voix parmi des abstentionnistes « purs et durs », qui auraient vu là une occasion unique de se faire entendre, mais qu’il a également séduit des électeurs qui ont, par le passé, voté pour d’autres partis.
De vraies difficultés de mobilisation pour le PS
Le PS connaît également une importante progression entre les deux tours (+22,6 points, + 8 088 voix). Des électeurs se sont mobilisés ou se sont reportés sur le PS pour faire barrage au Front national, avec succès. Néanmoins, la victoire du PS ne doit pas dissimuler les difficultés du parti au pouvoir, déjà largement visibles au premier tour. Avec 51,43 % des suffrages exprimés au second tour, Frédéric Barbier ne rassemble que 23,17% des électeurs inscrits. Ce score est inférieur à celui obtenu au premier tour de l’élection législative de 2012 (24,37%), et a fortiori au second (28,65%). Il semble donc témoigner donc d’une véritable difficulté à rassembler au-delà de son camp et même en son sein, alors même que la perspective d’une victoire frontiste aurait pu logiquement être la source d’une importante mobilisation parmi la gauche, voire rassembler en dépassant le clivage gauche-droite.
Quels reports de voix entre le premier et le second tour ?
L’interprétation des reports entre le premier tour et le second tour n’est pas aisée. En premier lieu, contrairement à ce l’on pense souvent, les mouvements entre l’abstention et le vote sont importants entre les deux tours d’un scrutin. Le corps électoral du premier tour est souvent largement différent de celui du second, et ce, même si les taux de participation globaux sont voisins. Dans le cas de cette élection législative partielle, le fort regain de participation au second tour a rendu ces chassés-croisés traditionnels encore plus massifs. Cette hausse du nombre de votants s’explique facilement, par l’affiche peu usuelle de ce second tour. La possibilité d’une victoire du FN constitue un facteur de motivation des électeurs, que ce soit dans une logique de front républicain ou dans celle de saisir l’opportunité de faire élire une députée frontiste. La forte médiatisation de cette élection a peut-être également un rôle dans cette augmentation de la participation, dans un territoire peu familier de la lumière des projecteurs. En outre, l’absence de l’UMP, un des partis habitués des seconds tours, et la consigne du « ni-ni » donnée à ses électeurs, a pu inciter une part conséquente de cet électorat à s’abstenir, ce qui a pu, de nouveau, encourager les croisements entre l’abstention et la participation.
A titre de comparaison, pour l’élection législative partielle qui s’est tenue dans le Lot-et-Garonne en juin 2013, dans l’ancienne circonscription de Jérôme Cahuzac, et dont le second tour opposait UMP et FN, un travail de pointage sur les listes électorales sur 94% des bureaux de vote a montré que 14% des électeurs de second tour n’avaient pas voté au second tour, et qu’inversement, 24% des électeurs de second tour ne s’étaient pas déplacés lors du premier tour de scrutin.
Cette mobilité électorale vers et en provenance de l’abstention, qui nous est en partie inconnue, ne permet que de faire des hypothèses sur le devenir des électorats de premier tour2. Au-delà de ces mouvements, les choix de vote effectués par les électeurs ne peuvent être appréhendés qu’en leur demandant quel candidat ils ont choisi, avec toutes les limites que cela suppose (sous/sur-déclaration de certains votes et difficulté à appréhender l’abstention). Un sondage réalisé par l’Ifop entre les deux tours apporte quelques réponses, notamment sur un des points clé de cette élection doubiste, le comportement des 26,54% d’électeurs ayant choisi l’UMP au premier tour3. Cette enquête indiquait qu’un quart de l’électorat du candidat de l’UMP, Charles Demouge, avait l’intention de voter PS au second, un quart de voter FN et la moitié de s’abstenir ou de voter blanc ou nul.
Cette tentation du « ni-ni » semble bien s’être concrétisée. Si les résultats électoraux ne nous permettent pas de mesurer la part de l’électorat UMP qui a décidé de suivre la consigne en s’abstenant au second tour – une démobilisation qui pourrait très bien être cachée sous la hausse de la participation globale – , force est de constater que le second tour a été marqué par une explosion des votes blancs et nuls. 1748 bulletins blancs ont été décomptés (soit 5,32% des votants) et 946 bulletins nuls (2,88%). Au premier tour, avaient été dénombrés 446 bulletins blancs et 281 nuls. Le nombre de bulletins blancs est donc multiplié par 4 entre les deux tours, celui des bulletins nuls par 3,5. Bien que l’on ne sache pas avec certitude quel a été le comportement de premier tour de ces électeurs, il ne semble pas très aventureux de supposer qu’il s’agit, pour une grande part, d’électeurs qui auraient voté UMP au second tour s’ils en avaient eu la possibilité, et qui ont donc respecté la consigne ni PS, ni FN.
- Le score de Marine Le Pen à l’élection présidentielle a été très nettement supérieur à celui obtenu par son père en 2002 dans cette circonscription, qui s’était établit à 18,72% des inscrits au premier tour (25,75% des suffrages exprimés) et 17,47% au second tour (23,47% des exprimés). [Revenir]
- Ces précautions doivent être tout autant de mise pour interpréter les évolutions entre différentes élections. Des formules du type « X retrouve 87% de son électorat » sont sujettes à caution, d’autant plus que le corps électoral se modifie lentement mais sûrement au fil des années, avec l’arrivée des jeunes et les décès, ainsi que la mobilité géographique. [Revenir]
- Soit 6824 voix, à peu près autant que le différentiel de participation entre les deux tours (6403 voix). [Revenir]