" Wash "
Traduit de l'américain par Anne-Laure Tissut.
Editions Belfond, Paris, 2014, 432 p.
Merci au Canard Enchaîné pour m'avoir incité à lire ce livre.
" L'esclavage fut une bénédiction car, sans l'esclavage, il n'y aurait jamais eu de Jazz " (Max Roach).
Cette histoire se passe dans une plantation du Tennessee entre 1823 et 1834. Le poids de l'esclavage pèse autant sur les maîtres que sur les esclaves. C'est la leçon de ce livre écrit par une descendante d'esclavagistes, une Blanche de l'Alabama, Margaret Wrinkle qui publie ici son premier roman. Elle frappe très fort d'entrée. Wash est le héros du livre. C'est un Noir esclave dont le pseudonyme (son nom africain ayant disparu) signifie aussi bien l'abrégé de George Washington, premier président des Etats-Unis d'Amérique qui libéra ses esclaves, que le verbe " laver " (to wash in english) tant la symbolique de l'eau, qu'elle soit de mer ou de rivière, est prégnante dans ce livre. L'eau qui lave, purifie, apaise, éteint l'incendie. L'eau sur laquelle les bateaux sont venus d'Afrique en Amérique amener les esclaves et parfois, dans l'autre sens, les ramener libres dans ce qui devint leur colonie, le Liberia.
Wash est un esclave rebelle. Il le porte sur son visage, sa joue étant marquée au fer rouge du R comme Reward (fugitif en français). Inapte aux travaux des champs, au dressage des chevaux, aux travaux du fer (le forgeron qui le marque est un ami qui finira en lançant une révolte), il est aussi invendable. Le tuer serait un aveu d'échec. Comment en tirer profit? En faisant de lui un étalon reproducteur qui, s'accouplant avec des femmes esclaves, donne naissance à des enfants esclaves qui se vendront cher.
Son maître note les saillies et les rejetons de Wash dans un registre du même type que celui qu'il tient pour ses étalons et ses poulains. Wash accepte son sort car il veut vivre. Il rencontrera l'amour avec une autre esclave noire, stérile mais médecin, Pallas comme Athéna, déesse de la ruse, de la sagesse, de la philosophie, de la stratégie.
L'esclavage pèse autant sur les maîtres que les esclaves, d'autant plus que les maîtres se sont battus contre les Anglais pour être libres, créer les Etats-Unis d'Amérique. Ils sont liés par un système économique absurde en contradiction tant avec leurs principes qu'avec les faits, car ils savent bien, pour vivre avec eux, que les Noirs ne leurs sont pas inférieurs. La preuve, ils leurs confient leurs enfants, leurs chevaux, leurs terres et se font même soigner par eux. Les familles de Blancs sont tiraillées entre esclavagistes et abolitionnistes, parfois même entre parents et enfants.
Bref, " Wash " est un roman très puissant où chaque phrase a un poids, une densité rare, où l'auteur sait aussi bien raconter l'histoire du point de vue des Blancs que des Noirs, des maîtres que des esclaves, des hommes que des femmes. D'ailleurs, qui est le maître, qui est l'esclave? Tout se trouble dans ces paysages de marais aux lumières et aux ombres incertaines.
Il n'est pas question de musique dans ce livre mais j'en recommande vivement la lecture à quiconque s'intéresse aux sources du Jazz.