Oui, bien sûr, lorsqu’on liste les avantages que procure le statut de fonctionnaire, on aboutit à la conclusion que ce dernier représente, réellement, un système de privilège spécifique dans une France qui a pourtant clairement réclamé vouloir s’en débarrasser il y a deux cent ans. Entre le système de retraite et ses régimes spéciaux, des salaires souvent plus élevés que pour un travail comparable dans le privé, ses allocations familiales plus généreuses, les facilités de logement (parc social, remboursement de frais et prêts bancaires spécifiques), ainsi que l’évidente sécurité de l’emploi, force est de constater que le statut public offre des prérogatives alléchantes.
En général, lorsqu’on fait remarquer ces écarts à leurs bénéficiaires, ils s’empressent de répondre, avec un petit air outré, que, monsieur, d’une part, si c’est si bien, eh bien que tout le monde passe les concours correspondants et les rejoigne, hein, d’abord, et que, d’autre part, ces avantages répondent à des impératifs pour attirer les talents, éviter la corruption ou ne pas soumettre le service public aux aléas économiques, parce que « ce service n’est pas une marchandise », mon brave monsieur.
Ces réponses font, évidemment, sourire (ou tousser, lorsqu’on reçoit son tiers provisionnel).
Outre l’évidente absurdité de l’argument « venez tous nous rejoindre », offre rocambolesque qu’aucun budget étatique sérieux ne sera jamais à même de pouvoir supporter, et pour lequel les précédents soviétiques ont largement montré la nocivité d’une fonction publique étendue à tous les domaines possibles et imaginables, ces réponses ont aussi le défaut d’occulter une réalité bien triste.
En pratique, ces avantages entraînent deux effets pervers.
Le premier effet, connu et pourtant mollement accepté dans les rangs mêmes des fonctionnaires, est que cette sécurité et ces avantages automatiques défavorisent de facto ceux qui font leur travail correctement. En effet, tout agent économique rationnel, plongé dans l’égalité de traitement, subira une poussée de haut en bas visant à fournir un effort exactement similaire au plus petit dénominateur commun parmi ses pairs : pourquoi se fouler et récupérer systématiquement tous les dossiers les plus complexes, alors qu’en faisant le minimum syndical, on s’épargne du tracas, des heures supplémentaires et qu’on touche la même chose ? Comme les avancements, les indemnités et les primes sont alors assez parfaitement déconnectés des qualités effectives de chaque agent et du travail qu’il fournit, même les agents les plus médiocres peuvent prospérer.
Le second effet, nettement plus pernicieux, est que du point de vue socio-économique, ces inégalités ont complètement séparé la population française en deux entités aux comportements économiques différents, l’une d’elle n’ayant plus pied dans la réalité qui interdit les hausses de salaires régulières, les avancements automatiques ou les facilités mécaniques d’accès à certains avantages. Une partie de la population française, baignée de la certitude qu’elle pourra toucher son salaire en fin de mois, n’a pas les mêmes aspirations ni les mêmes modes de consommation que l’autre partie, soumise aux aléas économiques.À ceci on doit ajouter son comportement politique tout aussi différent, son intérêt bien compris étant la conservation ou l’accroissement des moyens à sa disposition, au détriment de l’autre partie de population, qui paye, et ce même si cela met en péril la nation toute entière. Enfin s’ajoute à ceci les comportements des syndicats souvent d’autant plus caricaturaux qu’au sein même de cette fraction privilégiée, ils représentent un bastion lui-même surprotégé, et n’ont aucune espèce de honte à réclamer toujours plus d’avantages, quand bien même les difficultés économiques s’empilent sur les épaules de l’autre fraction de population.
On le comprend, cette inégalité est la source de la qualité toujours plus basse des services publics.
Maintenant, il faudrait se garder de toute conclusion hâtive. Certes, le constat est posé. Certes, l’analyse est évidente. Et certes aussi, une remise à plat des statuts de la fonction publique permettrait sans doute de retrouver une administration efficace.
Mais est-ce souhaitable ? Désirez-vous vraiment que vos amendes routières vous parviennent en 2 jours plutôt qu’en un mois ? Désirez-vous vraiment que les écoutes administratives soient simplifiées ? Voulez-vous vraiment que l’État français, qui a largement prouvé son incroyable capacité à venir fourrer son nez dans toutes vos petites affaires, le fasse maintenant de façon efficace ? Est-il appétissant d’imaginer une administration policière ou fiscale au top de leur forme ? Et si l’on pourrait déjà se réjouir de méthodes de recrutement enfin idoines et adaptés dans les corps de l’administration française (qui nous éviterait sans doute de tomber sur des François Hollande ou sa fine équipe au pouvoir), pourrait-on se réjouir au même titre d’avoir une application encore plus zélée des lois existantes avec une avalanche de contrôles sanitaires, de contrôle sociaux, un internet encore mieux surveillé ?
Enfin, compte-tenu de la récente et énorme crispation des pouvoirs publics sur la liberté d’expression, et sa volonté farouche de protéger encore plus la population dans de gros coussins de vivre-ensemble douillet assemblé comme dans un joli cercueil capitonné, peut-on réellement souhaiter que ceci soit fait avec efficacité ? Au vu de l’extension permanente de l’État dans nos vies, on en viendrait presque à souhaiter encore plus de traitements de faveur pour le statut public, achevant ainsi le sabotage d’une administration dont l’obésité, déjà morbide, entraîne le pays à sa ruine.
Ces questions sont ironiques, bien sûr, mais toute ironie mise à part, la situation économique du pays est maintenant suffisamment tendue pour que le débat sur l’égalité entre le public et le privé se referme très vite puisque ne se profile maintenant plus qu’une alternative : ou bien le premier s’aligne sur le second, ou bien le pays fera faillite.
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Ce billet a servi de chronique pour les Enquêtes du Contribuable
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