Virginie Despentes (pseudonyme en référence aux Pentes de la Croix-Rousse, quartier de Lyon dans lequel elle a vécu, avant de s'installer à Paris), née en 1969 à Nancy, est une écrivaine et réalisatrice française. Elle est également, à l'occasion, traductrice et parolière. À quinze ans, elle est internée en hôpital psychiatrique, à dix-sept ans en faisant du stop, elle est victime d'un viol. Au même âge, après avoir passé son baccalauréat en candidate libre, elle quitte Nancy et s'installe à Lyon où elle multiplie les petits boulots : Femme de ménage, prostituée dans des salons de massage et des Peep-shows, vendeuse chez un disquaire, puis pigiste pour journaux rocks et critique de films pornographiques. Virginie Despentes est « devenue lesbienne à 35 ans », selon ses propres termes. Son nouveau roman, Vernon Subutex 1, vient de paraître.
J’avais découvert Virginie Despentes en 1993 lors de la sortie de son premier roman Baise moi, puis Les Chiennes savantes, l’année suivante, par le biais de la mouvance rock dans lequel elle évoluait et j’avais rangé ses bouquins sur mes étagères, définitivement me semblait-il car pas très convaincu. Jusqu’à ce nouveau livre, vingt ans après, qui m’a inexorablement attiré sans que je sache trop pourquoi, sachant qu’il supportait le handicap (je déteste les romans avec suite) d’être le tome 1 d’un diptyque dont le second tome paraîtra en mars. Et j’ai bien fait, car il est très bon.
Vernon Subutex – quel nom génial (alias de Despentes sur Facebook) – a été disquaire à Paris jusqu’à ses quarante-cinq ans mais sa boutique a coulé. Au chômage et sans indemnités, expulsé de son logement, il va recontacter ses amis ou connaissances, pour squatter leur canapé durant quelques jours. Il détient des cassettes vidéo inédites d’une auto-interview d’Alex Bleach, un chanteur de rock décédé d’une overdose, qu’il a bien connu. Ces enregistrements sont convoités par plusieurs personnes…
Le parallèle va peut-être faire grincer des dents, mais la lecture de ce roman m’a évoqué La Comédie humaine de Balzac ! Rappelez-vous de son but alors : faire une « histoire naturelle de la société », explorant de façon systématique les groupes sociaux et les rouages de la société afin de brosser une vaste fresque de son époque susceptible de servir de référence aux générations futures. N’est-ce pas ce que vient de faire, dans une moindre mesure certes, Virginie Despentes avec ce roman ?
L’errance de Vernon Subutex, actuelle en passant d’amis en amis, ou en souvenirs de temps meilleurs où il était plus jeune, nous fait croiser le chemins de nombreux personnages de tous genres, hommes, femmes, transsexuels, comme de divers milieux, monde du rock, du cinéma et de la télévision, de l’industrie pornographique, de la photo et de la mode, de la dope. Moyenne bourgeoisie rangée, mannequins et frimeurs, taudis de banlieues où se croisent petites frappes fachos et adeptes du Coran… Virginie Despentes sait observer et semble parfaitement connaître tous ces mondes, de petits détails ou précisions, tendant à le prouver.
Le roman est dense, tant de sujets sont abordés, on passe de personnage en personnage par des liens parfois ténus, mais l’ensemble crée un « réseau social » dont Vernon Subutex est le centre, se rappelant au bon (ou mauvais) souvenir des uns et des autres, avec une sorte d’intrigue de polar qui se met vaguement en marche avec ces cassettes tant recherchées. L’écriture est impeccable, parfaitement adaptée au sujet, particulièrement dans le chapitre où il est question d’une fête avec de la drogue et cette accélération de rythme en symbiose avec l’état de manque du personnage. L’écrivain sait mettre le lecteur dans la peau et la tête de ses acteurs, leurs discours les plus outrageants (racisme, sexisme etc.) choquent mais sonnent justes. Tout comme Michel Houellebecq elle sait mettre le doigt sur ce qui fait mal, faire dire à ses acteurs ces mots de haine qui minent nos démocraties. Il y a aussi cette très surprenante vision des femmes, très dure avec son propre sexe, rarement aussi bien expliquées aux hommes et si c’est elle qui le dit, hein… !
Virginie Despentes dresse une fresque accablante de notre société, critique sociale et politique, un terrible constat sur l’état de notre monde, comme ces faits divers lus dans les journaux mais qui en disent plus long que certains essais sociologiques très savants. Et au milieu de toute cette dureté, une scène émouvante à pleurer quand la mère d’un ami d’enfance de Vernon, le reconnait en SDF sur un banc et se propose pour l’aider.
Un très bon roman donc et me voilà à attendre avec impatience le second tome, même si d’un point de vue narratif le bouquin se suffit à lui-même.