Comment communique-t-on ? Que ce soit par écrit ou à l'oral (le langage), ce qui permet à chacun de se faire comprendre et de comprendre l'autre, se fait par la langue, qu'elle soit maternelle ou en apprenant une langue étrangère. La langue française, mais cela vaut pour toute autre langue, s'est construite progressivement par des changements et des accoups historiques. "A chaque époque, sa langue". Et, à chaque fois, durant le temps où cette langue en formation adopte une certaine forme, elle adopte aussi une structure spécifique avec de nouveaux codes. Ces codes concernent l'écrit et le parler (grammaire, prononciation, etc.). Bien sûr, il existe des particularités régionales. Le parler de Marseille est différent de celui d'Alsace. Le parler du nord est encore plus spécifique, de l'ordre du patois avec des structures de phrase, un vocabulaire et une prononciation qui lui sont propres. Mais, au cours de l'Histoire, en parallèle de l'unification du pays, la langue elle-même s'unifiait et s'harmonisait pour construire des liens sociaux et culturels étendus. En conséquence, aujourd'hui en France, nous parlons tous la même langue, et pouvons donc communiquer aisément et fluidement d'un bout à l'autre de l'héxagone.
J'en viens donc à ce qui me préoccupe : le parler. L'écrit, lui, s'inscrit dans un cadre défini : grammaire et ortographe précises. Le parler est plus volatile, même si, au delà des particularités régionales, il existe un cadre sonore, une musique, une prononciation qui uniformise la langue. On parle français en appliquant à chaque mot, à chaque syllabe, à chaque lettre un ton spécifique. Exemple : le mot "élève". Les lettres "é" et "è" ont un son différent et spécifique. Le premier a un son fermé, bas, que l'on obtient en ouvrant peu la bouche et en étirant légèrement les coins de celle-ci. Le deuxième a un son ouvert, haut, obtenu en ouvrant largement la bouche. D'ailleurs, la différence de ton entre les deux lettres a un sens. Prononcer le même mot mais avec deux "é" s'avère difficile. Essayez de dire "éléve" au lieu de "élève", et vous constatez immédiatement que cela est ardu et nettement moins naturel ! La recherche d'un certain confort de prononciation a peut-être contribué à sa structure écrite. Il existe donc une codification sonore applicable à chaque lettre, modifiée par l'ajout d'un accent, et à des groupes de lettres comme "ai", "ei", "et" à la fin d'un mot, qui tous 3 ont le même son que "è".
Donc, à part les parlers régionaux très ancrés et persistants, avec leur accent très reconnaissable (l'accent du sud, l'accent du nord, etc.), il existe aussi un parler "national", "non-régional" si vous préférez, sans accent. Ce langage sans accent, parlé par la grande majorité des français, s'inscrit pleinement dans la codification sonore évoquée plus haut. Donc le groupe de lettres "ai" a le même son que "è". Même si un parler régional a certaines particularités, nombreux sont ces parlers qui respectent la codification sonore. Rien n'empêche un breton, malgré son accent breton, de dire "ai" comme "è". Il n'y a que dans le sud et le nord (et cela ne concerne que les personnes dont le parler usuel est le "patois" Ch'ti !) où la déformation sonore est quasi totale. Dans le sud le son "ai" est prononcé "é".
ALORS POURQUOI tant de personnes, appartenant au "groupe des sans-accent" prononcent si mal les mots et ne respectent pas les codes sonores ??? Pourquoi, dans tant de bouches, le mot "lait", qui doit se prononcer "lè", est prononcé "lé". Je regrette mais le son "é" après le "l" se dit "lé", et le mot "lé" existe et a un sens bien à lui (voir définition) !! Etonnant non ? On retrouve la même erreur avec le mot "fait" prononcé "fé". La liste des erreurs de prononciation est trop longue pour être énumérée ici.
Imaginons ce que donne la phrase
"qu'est-ce que ça fait pour une fée de renverser du lait sur un laid lé de tissu ?"
Cela donne
"qu'est-ce ça fé pour une fée de renverser du lé sur un lé lé de tissu ?"
Comique non ? Absurde, sûrement ! La musique n'est plus la même. La codification, la structure sonore qui habille les mots et leur donne un sens très précis, n'est pas appliquée, et par conséquent déforme l'outil de la communication, le mot, et donc la communication elle-même. Or le but ultime de cette communication est de permettre au cerveau de décrypter le plus rapidement possible les informations qu'il reçoit. Plus la masse d'informations est grande, plus le décryptage est complexifié ! La sonorité d'un mot n'est qu'un des nombreux éléments qui composent cette communication.
Attention ! La codification sonore telle qu'elle existe n'est pas la vérité immuable. Non ! Si cette codification était différente c'est elle-ci qu'il faudrait suivre.
Mais vous prenez en cours une émission radio ou une émission et vous entendez "le lé c'est bon", vous ne captez pas immédiatement le vrai sens de la phrase ! Donc, même en essayant de deviner ce qui est dit, vous restez dans le doute. Et ce doute détourne de la raison !!
Paradoxalement, certains mots sont correctement prononcés par les mêmes personnes qui déforment les autres mots. Etrange non ? Par exemple le mot "contraire". Je ne l'ai jamais entendu déformé du genre "contrére". Alors que le "ai" donne le même son que dans "fait" ou "lait", pourquoi ces mots sont mal prononcés ?
J'entends certains d'entre vous me dire que je tatillonne, que je fais tout un pataquès pour un épiphénomène. Bien sûr, je rétorque que, si vous m'avez bien lu, j'ai démontré que la distortion des mots engendre l'incompréhension et une communication corrompue ! Et les mauvaises habitudes de langage, comme les tics de langage, dénature la langue et détourne celle-ci de son objectif initial : comprendre et être compris !!
Que je sache, ce qui nous différencie de l'animal, c'est le langage !
Mais observons la nature. Les oiseaux d'une même espèce ont eux-mêmes leur langage propre : le son, avec sa codification ! Si le son qui avertit d'un danger est improprement émis, alors ce son ne jouera pas son rôle de mise en garde...et la mort s'abattra !! Et un zozio se fera croquer.
Alors, faisons un petit effort et respectons l'identité de notre langue. A moins que certaines personnes cherchent, par paresse intellectuelle ou obsession de la simplification, à nous ramener à la préhistoire et aux borborygmes ? Ce serait aller à l'encontre de l'évolution de notre espèce ! Ce serait dénier le niveau intellectuel de notre culture, ses complexités, ses multiples nuances, sa métaphysique, sa littérature, etc.
A bientôt.