Publié le 07/02/2015 Antonin Iommi-Amunategui
Des vignes en conversion bio dans le Beaujolais (David Large)Quel enjeu agite aujourd’hui la filière du vin ? La qualité ? Les questions environnementales ? Non, la loi Evin. Une loi manifestement obsolète mais dont les effets sont surtout anecdotiques, notamment en ce qui concerne le vin : les Français en consomment moins, c’est vrai, mais cette baisse a démarré dans les années 60. Pas grand-chose à voir avec la loi Evin, qui date de 1991. C’est un changement d’habitudes de consommation, culturel, sociétal. D’ailleurs, les Français sont toujours les premiers producteurs etconsommateurs de vin au monde (derrière le Vatican, oui, mais ça ne compte pas).Le combat contre la loi Evin est donc un faux combat. Et quand on mesure toute l’énergie (et l’argent) qui est dépensée là-dedans par la filière, par les pros, par les critiques, les commentateurs de tout poil, on ne peut qu’être atterré.
La France, championne des pesticides
Le bio représente aujourd’hui 8% du vignoble français (AIA/Rue89)Le véritable enjeu n’est pas là. La viticulture doit être exemplaire, voilà l’enjeu, elle doit être un modèle pour toute l’agriculture et, in fine, pour la société.De quoi je parle ? De l’agriculture biologique, du fait de cesser d’être en France les championseuropéens de l’utilisation d’engrais, désherbants et pesticides de synthèse ; produits dont la toxicité incontrôlable est avérée depuis des lustres, par un nombre incommensurable d’études scientifiques solides et indépendantes. Ce sont des poisons pour l’environnement, ce sont des poisons pour l’homme, ce sont des poisons pour le vivant : ça n’a plus sa place dans l’agriculture.C’est cela qu’il faut dénoncer avec toute l’énergie possible. C’est cette révolution que doit amorcer et diffuser la viticulture française. Et non, ce n’est sûrement pas un délire de bobo, d’écolo ou – pour reprendre cette expression lamentable inventée par le président de la Fnsea – de« djihadiste vert ».Il y a quelques années, dans un reportage diffusé sur France 3, Aubert de Villaine lui-même disait ne pas concevoir qu’un grand cru ne soit pas en agriculture biologique... Dans la bouche du cogérant de laRomanée-Conti – le domaine le plus prestigieux de la Terre –, ce n’était pas rien.
Le bio inscrit dans le cahier des charges des AOC
Voici ce pour quoi on doit s’agiter : qu’à l’horizon de vingt ans, l’agriculture bio soit inscrite dans le cahier des charges, non seulement des grands crus, mais de toutes les appellations (AOC ou AOP comme vous voudrez) du vin. Cela doit devenir un prérequis qualitatif absolu.Après, zéro naïveté ici, il y a des enjeux économiques énormes, de toutes parts, et la pression qui va avec. Nombre de commentateurs, y compris au sein de la « presse » du vin (je mets des guillemets à dessein), ne peuvent donc pas se permettre de se démener autant sur cette question que sur des sujets plus mous, comme la triste loi Evin, punching-ball pratique et consensuel dans le milieu.Pourtant, la filière de A à Z devrait se saisir de cet enjeu, et faire notamment pression sur les pouvoirs publics pour que, rapidement, les aides à la conversion bio soient renforcées, démultipliées ; et aller ainsi bien plus loin que l’énième nouveau plan antipesticides présenté il y a quelques jours par Stéphane Le Foll.Imaginons aussi un instant quels seraient les effets en termes d’image pour la viticulture, pour le vin, si cette conversion totale se produisait. A l’évidence, ils seraient autrement plus forts et bénéfiques pour la filière qu’une pauvre campagne de publicité en 4 par 3 sur les murs de nos villes.
Les marginaux montrent la voie
Il est donc franchement temps que les gens du vin en finissent avec leurs combats factices et nombrilistes, et s’approprient pleinement les réels enjeux de l’agriculture moderne. Parce que le vin, de par son statut de produit culturel, y est en première ligne, et il a donc, comme Spider Man, une grande responsabilité – celle de montrer la voie.L’ironie c’est qu’aujourd’hui, les meilleurs porte-étendards de cette exigence véritablement moderne, ce sont les vignerons naturels, à savoir les plus marginalisés par la filière viti-vinicole.http://blogs.rue89.nouvelobs.com/no-wine-is-innocent/2015/02/07/le-vignoble-francais-100-bio-dans-vingt-ans-et-pourquoi-pas-234206